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Le domaine du Crot-Ravard, à Châteauneuf

(Illustration : verre filé de Nevers, XVIIème)

Le Crot-Ravard (ou Ravart) est un domaine ancien situé dans la vallée de la Nièvre, à Châteauneuf-Val-de-Bargis, aux confins des terres de l’abbaye cistercienne de Bourras , à laquelle il a sans doute appartenu avant d’être cédé.

On le trouve vers 1650 aux mains d’Edmé Picquet, d’une famille originaire de Troyes – son grand-père, Claude Picquet, mathématicien, astronome, graveur en taille douce -, établie en Nivernais par des fonctions administratives dans les Manufactures royales de verrerie de Nevers, qui les mirent en rapport avec des familles de gentilshommes verriers : Castellan, Borniol…etc.

Le Crot-Ravard passe ensuite par alliance à une branche cadette des Charry, de Giverdy, puis aux Caffard, bourgeois de Nevers et de Saint-Bonnot.

Il reste à trouver des traces de l’histoire plus ancienne de ce domaine, mais la documentation sur l’Abbaye de Bourras est très fragmentaire…

Merci aux Cahiers du Val-de-Bargis qui fournissent une inépuisable documentation sur cette petite région ! 

Crot-Ravart  (V2 du 3 nov 2023)

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Les domaines des moines de Bourras

(Illustration : le site de Bourras)

En évoquant l’histoire de l’abbaye cistercienne de Bourras, à Saint-Malo-en-Donziois, fondée au début du XIIème siècle, nous avons mentionné sa richesse foncière et les innovations que les moines avaient apportées dans cette haute vallée de la Nièvre.

Les patrimoines monastiques exerçaient un irrépressible attrait sur des dignitaires de l’Eglise avides de bénéfices. Pour Bourras ce fut le cas notamment de Louis de Clèves-Fontaine, prieur de La Charité, abbé de Toussaints à Chalons, évêque de Bethléem (à Clamecy), abbé de Bourras en 1609 ; et son neveu Jean qui lui succéda dans tous ses bénéfices. Voyez la généalogie de cette branche de la famille de Nevers issue d’un fils du comte Engilbert, abbé du Tréport (sic !) : les bâtards de Clèves. Nous les avons rencontrés en étudiant les fiefs de Fontaine et de Pougny, qui leur avaient été attribués par le duc, leur cousin.

Malgré la destruction des bâtiments monastiques par les huguenots et le déclin progressif de la vie religieuse jusqu’à sa disparition, quelques traces de ces richesses subsistent. 

Un beau logis abbatial du XVIIIème siècle – qui ressemble à une gentilhommière plutôt qu’à une maison religieuse – atteste que les derniers abbés commendataires entendaient jouir d’un confort digne de leur rang.

                                         

Son bâtisseur fut-il Pierre Langlois de La Fortelle (abbé en 1714), également prieur de Cessy, Coche, St-Malo et Vielmanay, fils d’un Maître des Comptes et petit-fils d’un marchand vinaigrier de la rue Montorgueil ? Ou Pierre de Chauvigny de Blot (1750), chanoine-comte de Lyon, d’une vieille famille d’Auvergne ? Ou encore son neveu Pierre de Rochefort d’Ailly (1760), chanoine de Laon ?

En arpentant cette vallée défrichée et assainie par les premiers moines, on peut voir les traces de ce passé dans les domaines de Bourras-la-Grange, à Champlemy ; de la Bergerie, à Saint-Malo ; de La Rollande, des Maçons, du Pont et de Chaume à Châteauneuf. Ils constituaient un ensemble foncier de plusieurs centaines d’hectares, s’étendant sur plus de 5 kms le long de la Nièvre, cernés de bois sur les hauteurs, accostés de plusieurs moulins.

Ils ont été conservés dans le patrimoine de l’abbaye, sauf exception, jusqu’à sa disparition. Au fil du temps ils furent affermés, car la diminution du nombre de moines, accentuée par la mise en commende, n’autorisait plus l’exploitation directe . Les Cahiers du Val-de-Bargis proposent plusieurs actes notariés des XVIIème et XVIIIème siècles à ce sujet.

Le bail-à-moitié de la Rollande – une forme de métayage très contraignante – est ainsi reconduit par le « vénérable religieux dom François Marie prieur du couvent de l’abbaye royale de Notre Dame de Bourras, y demeurant, paroisse dudit Saint Malo » en 1743, au profit des Jolly, qui constituaient une communauté de parsonniers. C’est ici le prieur claustral qui agit en lieu et place de l’abbé commendataire Langlois. Le bailleur fournit les terres, les bâtiments, le cheptel et même la moitié des semences ; les preneurs paieront en argent et en nature : blés, fil de chanvre, beurre, poulets…etc.

Le Pont et Chaume sont les sites les plus marquants, où de vieux manoirs du XVIème siècle, avec leurs tourelles, subsistent et rappellent les exigences de la défense en ces époques troublées.

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Le Pont est lui aussi affermé en cette année 1743 par « le sieur Jean Baudoin agent des affaires de messire Pierre Langlois de la Fortelle, prestre, docteur de la maison et faculté de Sorbonne, conseiller du Roy en sa cour de parlement à Paris, abbé commendataire de l’abbaye royale Notre Dame de Bourras, prieur seigneur spirituel et temporel du prieuré de Cessy et St-Malo, Coche et Vielmanay, Menou et dépendances… », qui habite à Bourras où l’abbé ne vient que de loin en loin.

Chaume, plus éloigné du siège abbatial, fut sans doute cédé, si l’on en juge par la mention de propriétaires privés : au XVIIème siècle Simon Gallard, avocat en Parlement, époux d’une Le Muet, issue de cette famille qui tenait  Corbelin et jonglait avec les charges ecclésiastiques et judiciaires à Auxerre ; au XVIIIème Hubert Brotot, marchand, fermier de la châtellenie et syndic de Châteauneuf, en est propriétaire et demeure sur place ; son fils Jean-Henri, lieutenant civil et criminel à La Charité afferme Chaume en 1740.

Le moulin à forge en contrebas paraît quant à lui avoir appartenu de longue date à des seigneurs des environs. On le trouve au XVIème siècle aux mains des sires d’Armes, seigneurs de Vergers à Suilly-la-Tour – où se trouvait une importante forge -, et au XVIIème dans celles des Rolland, sgrs d’Arbourse tout proche, qui l’afferment suivant l’usage.

A la veille de la Révolution l’abbaye était en complète déshérence. Deux visiteurs de l’Ordre, D. Martène et D. Durand, cités par l’abbé Charrault, écrivent : « Cette abbaye qui fut considérable, est aujourd’hui tellement ruinée qu’elle ressemble plutôt à une grange qu’à une abbaye en sorte qu’elle est réduite à un seul religieux ».

Ses biens fonciers, préservés par l’administration soigneuse des abbés à leur profit, ne manquaient pas de susciter l’envie dans le voisinage. On relève ainsi une offre d’achat du domaine de La Rollande par son fermier dès 1790, restée sans suite. Ils furent vendus en 1792, suivant le processus officiel.

Le temps passa et on tourna vite la page dans cette vallée isolée, d’autant qu’à Bourras même les traces du passé religieux, honni par certains et oublié par les autres, avaient presqu’intégralement disparu.

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Bussy-Rabutin et Cessy

Les archives de Cessy-les-Bois, que l’excellent site Cahiers du Val de Bargis explore inlassablement, réservent parfois des surprises : par exemple celle d’y trouver le fameux Bussy-Rabutin (1618-1693).

En effet, « Roger de Rabutin, chevalier, seigneur et comte de Bussy-le-Grand, baron de Forléans, Chaseul et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils, son lieutenant général au gouvernement de Nivernois et Donziois », officier distingué, puis écrivain sulfureux et académicien, est dit « seigneur de Cessy, St Malo-les-Bois, Coche et Vielmannay ». Il est mentionné de 1651 à 1654 dans des actes concernant des biens qu’il détenait à ce titre : la métairie du château de Cessy, le moulin et la métairie d’en-haut de Chevenet, ou encore le greffe du bailliage.

                                                               

C’est là un cas qui interroge, car il ne s’agissait pas de fiefs ou de propriétés ordinaires. Ces quatre sites avaient en commun un ancien statut monastique : St-Malo et Vielmannay, monastères primitifs devenus dès le haut moyen-âge de simples églises paroissiales ; Coche, l’une des trois abbayes fondées au début du XIIIème siècle par Hervé et Mahaut, réputée disparue au XVIème ; Cessy-les-Bois, une fondation très ancienne dédiée à Saint Baudile, devenue un prieuré relevant de Saint-Germain d’Auxerre, dont les guerres de religion avaient eu également raison.

Le temporel constitué de temps immémoriaux autour de ces petits établissements subsista jusqu’à la Révolution, car le régime féodal n’oubliait rien. Bien que n’abritant plus aucune vie religieuse – sauf Cessy – ils furent dotés de prieurs commendataires pour administrer ce patrimoine. Ils jouissaient des revenus et les cumulaient même, y ajoutant parfois le titre d’abbé de Bourras. Nous avons croisé quelques « bénéficiaires » de ce statut peu édifiant mais très profitable : Marafin, qui fut ensuite un capitaine huguenot redoutable, Richer et Carpentier de Marigny.

Cessy, Coche, Saint-Malo et Vielmannay auraient donc eu simultanément un prieur, parfois appelé « seigneur spirituel et temporel (sic !)» et un seigneur laïc en ces années 1650, chacun pourvu des biens correspondant. Pour faire bonne mesure, à Vielmannay (anciennement Mannay ou le Vieux-Mannay) on trouvait aussi le fief patrimonial des Lamoignon, détenu à cette même date par Gilbert II, sgr de Beaulieu, Mannay et Pernay.

Comment Bussy-Rabutin devint-il ce petit seigneur local ?

Il fut certes impliqué en Nivernais et Donziais par sa charge de « Lieutenant de roi » – c’est-à-dire commandant militaire – héritée de son père Léonor en 1645. Il y suppléait à l’absence du « Gouverneur », titre détenu alors par le duc Charles IV de Gonzague-Nevers lui-même, retourné à Mantoue. Bussy avait fait son entrée à Nevers le 18 février 1646, « accompagné de presque toute la noblesse du Nivernais » et exerça effectivement cette charge pendant une dizaine d’années, notamment pendant la Fronde. Notons qu’après avoir été tenté par l’aventure des princes, il servit loyalement le jeune Louis XIV, en particulier en Nivernais. Mais cela n’explique pas la possession de ces biens.

Fuyant la vindicte royale contre ses frasques, il serait venu se réfugier auprès de son oncle Guy de Rabutin, abbé commendataire du Val des Choux, la maison-mère cistercienne de l’Epeau, qui résidait au château de Cessy à cette époque sans qu’on puisse déterminer à quel titre. Tenait-il ces biens à Cessy et alentour de cet oncle ?

                                          

Bussy aurait également séjourné à Champlemy, une terre des sires de La Rivière qui était passée dans sa famille par mariage en 1610.

Mentionnant Cessy dans la liste des fiefs du duché, l’Inventaire l’Abbé de Marolles ne cite aucun acte le concernant, mais le décrit comme consistant en la « garde du prieuré de Cessy ». Cette fonction de protection d’un établissement religieux était traditionnellement exercée par un seigneur voisin, souvent de la famille du fondateur. Etait-elle associée à Champlemy ?

Bref, le mystère subsiste, et nous serions heureux de pouvoir l’éclaircir avec votre aide….

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Une belle carrière ecclésiastique !

A la veille de sa mort à La Charité, au mois d’octobre 1619, « illustre et révérend père en Dieu messire Jean de Clèves, evesque de Bethléem, abbé de l’abbaye de Toussains en l’île de Chaalons, prieur seigneur de La Charité » fonda un anniversaire et cinq saluts dans l’abbaye. Son neveu et légataire Antoine de Clèves, comte de Rosoy, devait délivrer aux moines les sommes correspondantes (Source : Cartulaire de La Charité, édité par R. de Lespinasse).

Nous avons déjà rencontré ce personnage comme évêque de Bethléem à la suite de son oncle Louis, et noté son existence dans la généalogie des bâtards de Clèves. Il était le fils de Louis, sgr de Fontaine (à St-Père) ; le petit-fils de François, abbé du Tréport ; et donc l’arrière-petit-fils « par la main gauche » d’Engilbert, comte de Nevers.

Ses armes figurent sur la cheminée du petit manoir de Charly à Chaulgnes, possession des prieurs de La Charité : « Ecartelé: aux 1 et 4, d’azur, à trois fleurs de lys d’or, à la bande de gueules, chargée de trois lionceaux d’argent, brochant sur le tout (qui est Bourbon-Vendôme); aux 2 et 3, contrécartelé, au 1 et 4, parti de gueules, au ray d’escarboucle, pommeté et fleurdelysé d’or de huit pièces, enté en cœur d’argent, à l’escarboucle de sinople (qui est de Clèves) et d’or, à la fasce échiquetée d’argent et de gueules de trois tires (qui est La Mark); et aux 2 et 3, écartelé d’azur, à trois fleurs de lys d’or, et de gueules à la bordure engrêlée d’argent (qui est d’Albret-Orval) ». (Source : Armorial de Soultrait, et Epigraphie héraldique du département de la Nièvre, par le Cte de Sornay-Soultrait)

Les armes de Bourbon-Vendôme, celles de son arrière-grand-mère qui faisait de lui un cousin du roi régnant, figurent curieusement en premier ; mais aucune allusion à la bâtardise dans cet écu sophistiqué.

A la vérité, cet aimable jeune homme, chanoine régulier de Saint-Augustin, n’avait pas eu à fournir de grands efforts pour obtenir ces fonctions : il avait succédé comme abbé de Bourras et de Toussaint de Châlons, comme Prieur de La Charité (en 1606) et comme évêque de Bethléem (en 1615) à son oncle Louis de Clèves.

Comme prieur de cette fille aînée de Cluny pendant 13 années, fonction à laquelle il ajouta celle d’évêque de Bethléem – il est vrai assez légère – il n’a laissé comme trace qu’une tombe dans le choeur.

Voyez à ce sujet la notice détaillée que nous proposons par ailleurs : Prieurs de La Charité

Mais Jean de Clèves avait aussi obtenu dans ses premières années des petits bénéfices en Donziais. Il est probable que son oncle avait « résigné » en sa faveur ces premiers titres, comme il résigna plus tard ceux de Bourras, de La Charité et de Bethléem.

Les ressources inépuisables du site « cahiers-du-val-de-bargis » – auquel nous avons souvent recours et que nous vous recommandons – nous le font retrouver comme prieur de Cessy en 1602 pour la vente d’une grange, ou pour le bail de la dîme de Cœurs :

« A tous ceulx qui ces p[rése]ntes lettres verront Philippes de Franay conseiller du Roy not[re] sire advocat au baill[ia]ge et siege presidial d’Aucerre, bailly de Cessy et St Malou les Boys et garde du scel estably aux contractz desditz lieulx pour noble et scientifique personne messire Jehan de Cleves conseiller et aumosnier du Roy not[re] sire abbé de Toussaintz en l’Isle de Challons et seign[eur] prieur spirituel et temporel desditz Cessy, St Malou les Boys, Coches et Viel Mannay, mambres et deppandan[ces] salut…… ».

Nous avons évoqué cette vieille abbaye relevant de St-Germain-d’Auxerre ; elle n’était plus que l’ombre d’elle-même après les ravages des Guerres de Religion, et il n’en reste rien. Ses biens et ceux subsistants de l’ancienne abbaye de Coche à Vielmanay ; ceux du prieuré disparu de Mannay ; et ceux détenus à Saint-Malo qui était dans la dépendance de Cessy, avaient été unis pour étoffer ce bénéfice et en faciliter l’administration. C’était devenu une quasi-seigneurie laïque sans présence monastique.

Il semble qu’en 1602 Jean de Clèves n’était pas encore abbé de Bourras – sur le territoire de cette même paroisse de Saint-Malo-en-Donziais – mais ce n’était que partie remise. Notons qu’il était dès cette époque « conseiller et aumônier du Roi », une charge héritée également de son oncle.

Les Clèves-Fontaine, oncle et neveu, nous fournissent un bel exemple du népotisme et de la simonie qui prévalaient alors. Il s’agissait d’obtenir du roi, grâce à un appui puissant – celui du duc de Nevers, en l’occurrence – des « bénéfices » procurant des revenus significatifs. On y renonçait de son vivant en faveur d’un neveu. On transmettait ainsi comme un patrimoine privé des droits sur des biens ecclésiastiques au nez et à la barbe d’un pouvoir royal complaisant. Il n’était pas interdit d’avoir une vocation religieuse et de s’y consacrer, mais ce n’était pas indispensable…

Ce scandale minait la confiance dans l’Eglise et dans ce pouvoir ; il perdura pourtant sur une grande échelle jusqu’à la Révolution.

Luther et surtout Calvin s’étaient élevés quelques dizaines d’années plus tôt contre ces pratiques. Leurs partisans avaient d’ailleurs détruit la plupart des monastères de la région, mais leurs biens fonciers étaient là et continuaient d’aiguiser les appétits.

Encore faut-il rappeler que certains huguenots connaissaient le système de l’intérieur : Jean de Marafin – frère de François, sgr de Vieux-Moulin, capitaine protestant de La Charité et lieutenant de l’Amiral de Coligny – avait été « abbé commendataire de Bourras et de Cessy » et « archidiacre de Decize » quelques années avant d’embrasser la Réforme. Théodore de Bèze lui-même, successeur de Calvin à Genève, dont la famille était implantée en Nivernais et en Donziais, n’avait-il pas bénéficié de la protection de son oncle Nicole de Bèze, « archidiacre d’Etampes, prieur commendataire de Mello, Abbé de Saint-Eptade de Cervon, Prieur du Val-Saint-Eloi à Longjumeau« ….etc. ?

Une époque décidément bien troublée et déliquescente…

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Une dépendance de Bourras : Chevigny

(Illustration : Bourras, le logis abbatial)

Chevigny, un hameau d’Etais-la-Sauvin dans l’Yonne, était un fief de cette châtellenie. Il appartenait depuis le XIIème siècle (1124) à l’abbaye cistercienne N.D. de Bourras à Saint-Malo-en-Donziais, fondée en 1116 par des moines venus de Pontigny, et dont nous avons souvent parlé.

À l’époque gallo-romaine, Chevigny était déjà un site connu qu’on appelait la « villa Capitinarius in pago Autissiodorensis », donnée à l’abbaye Saint Marien d’Auxerre par saint Germain au Vème siècle. Plus tard ce lieu s’appela « Cavanniacum », c’est-à-dire le « domaine du hibou », symbole de la sagesse suivant la tradition romaine, qui fait peut-être référence à celle du maître de cette villa, et devint Chevigny.

Des fouilles archéologiques effectuées en 1935 par Robert Dauvergne et René Louis – connus comme co-inventeurs du site gallo-romain des « Fontaines salées » près de Saint-Père-sous-Vézelay – ont révélé la présence de nombreux sarcophages en pierre venant d’un cimetière mérovingien près de Chevigny en allant vers Sainpuits, qu’ils avaient détecté.

                                                                     

La mise en exploitation d’une carrière au début de la période carolingienne au lieu-dit « Le Cercueil » où se trouvait la nécropole mérovingienne a malheureusement entraîné la destruction des vestiges. Cette carrière avait été exploitée par les Romains pour réaliser des sarcophages ornés puis elle a servi à tous les usages.

Les produits des fouilles sont visibles au musée d’Entrains-sur-Nohain et dans l’église St-Pierre-aux-Liens d’Etais-la-Sauvin. Il y a donc eu une continuité d’occupation significative du site, de l’antiquité à nos jours.

Au milieu du village, une charmante chapelle attire le regard. Il aurait été étonnant que les évêques d’Auxerre n’implantent pas un lieu de culte à Cavanniacum, tant il est vrai que l’Eglise inscrivait naturellement son action dans les sites préexistants habités par des communautés humaines structurées.

                            

Elle date du XIIème siècle mais elle a été largement restaurée aux XVIIème, avec son portail classique, et au XIXème siècles. Elle est dédiée à Sainte Camille, d’Escolives. Le « bénéfice » ecclésiastique de Chevigny était à la « collation » de l’abbé de Bourras, seigneur spirituel et temporel du lieu. On peut imaginer que ses desservants successifs restèrent de pauvres prêtres car ils ne jouissaient que d’une « portion congrue » après que l’abbaye-mère ait prélevé son dû.

Des frères convers résidaient à Chevigny, entretenant des troupeaux et cultivant les terres, comme autour de l’abbaye-mère dans la haute vallée de la Nièvre de Champlemy. Les cisterciens de Bourras passaient pour de grands innovateurs ; le paysage agricole autour de leurs implantations a été soigneusement modelé par eux.

Dans la chapelle de Chevigny, à droite de l’autel, un blason est sculpté en bas relief dans le mur : au centre un bouquet de lys encadré à droite par l’étoile de Bethléem et à gauche par la coquille des pèlerins de Saint-Jacques. On peut lire sous le vase une date : 1116 ; sans doute l’année d’édification de la chapelle par les cisterciens.

L’autel est surmonté d’une niche dans laquelle trône une statue en pierre de sainte Camille.

Née à Civitavecchia en Italie, près de Rome, Camille a vécu dans la première moitié du Vème siècle. Elle s’était établie à Ravenne, ultime siège de l’Empire romain d’occident finissant – qui recèle des mosaïques exceptionnelles dans ses basiliques de cette époque  – et était devenue avec plusieurs compagnes disciple de saint Germain d’Auxerre qui y était en mission.

À la mort de l’évêque en 448 à Ravenne, cinq d’entre elles se portèrent volontaires pour accompagner son corps jusqu’à Auxerre : Pallaye, Magnance, Procaire, Camille et Maxime. Éprouvées par le voyage, elles moururent avant d’avoir atteint leur objectif. Trois communes de l’Yonne les honorent : Sainte-Pallaye, Sainte-Magnance et Escolives-Sainte-Camille, où une église du XIème siècle à plan basilical et porche roman perpétue son souvenir. Ses reliques ont par contre été dispersées au moment des guerres de religion.

                                                             

De Pontigny à Bourras, en passant par Auxerre et Etais-la-Sauvin, la chapelle de Chevigny est donc une trace discrète mais émouvante d’un riche passé lointain.

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