Françoise et la Reine Margot

(Illustration : l’église Saint-Martin-du-Pré à Donzy)

En retraçant l’histoire du fief de Favray, à Saint-Martin-sur-Nohain, nous avons évoqué la figure de Françoise de La Rivière (1586-1606), épouse de François de Reugny, dame d’honneur de Marguerite de Valois (1553-1615), fille d’Henri II et première femme d’Henri de Navarre, futur Henri IV : la Reine Margot.

L’image de cette jeune femme morte à vingt ans est parvenue jusqu’à nous grâce à sa belle dalle funéraire conservée dans la petite église romane Saint-Martin-du-Pré, à Donzy. Aujourd’hui scellée verticalement contre un mur, brisée en deux morceaux, cette pierre a failli disparaître : en 1682, le Curé avait entrepris de détruire ce tombeau, mais on y trouva le corps de la dame sain et entier. L’évêque d’Auxerre imposa sa préservation.

Malgré l’usure du temps, on peut lire sur son pourtour l’inscription suivante : « DANS . CE . RECANT . TOMBEAV . REPOSE . LE . CORPS . DE . FRANCOISE . DE . LA RIVIERE . DAME . DE . LA . ROYNE.  MARGVERITE . ESPOVSE . DE . FRANCOIS . DE . REVGNY . SEIGNEVR . DE . FAVERAY . LAQVELLE . DECEDA . EN LAAGE . DE . 20 . ANS . ESTANT . A . PARIS . AV . SERVICE . DE . LADICTE . ROYNE . LE . 19 . AVRIL . 1606 ».

La dame y apparaît vêtue d’habits de cour du temps d’Henri IV, tête reposant sur un coussin encadré par les armes de Reugny et de La Rivière ; large vertugadin en forme de plateau, mains jointes en prière, visage juvénile et doux mis en valeur par une large collerette de dentelle, cheveux frisés tirés en chignon. Le sculpteur a soigné le portrait de Françoise, qui devait être aimée de son commanditaire.

Les circonstances de sa vie et de sa mort restent hélas totalement méconnues.

Faute de source probante, on doit, avec les auteurs nivernais qui se sont penchés sur le sujet, considérer qu’elle était une fille de Jacques de La Rivière, sgr de la Garde (à Perroy), en raison des dates et de la proximité géographique. Dernier fils de François, seigneur de Champlemy, vicomte de Tonnerre et de Quincy, Jacques était destiné aux Ordres et avait été moine cistercien à Pontigny, une abbaye proche des possessions de cette branche. Mais dans le contexte de la Réforme, dont l’influence galopait dans la noblesse locale, il avait obtenu du Parlement de Paris l’annulation de ses vœux. Ainsi légalement « défroqué » il s’était marié et remarié après deux veuvages. Les dates suggèrent que la mère de Françoise devait être sa troisième épouse, Léonarde de Loron, fille du seigneur d’Argoulais en Morvan, d’une famille connue pour son engagement, parfois exalté, dans la Réforme – voyez à ce sujet la notice consacrée au manoir de Maison-Blanche à Crain -.

Son mari, François de Reugny, était issu d’une vielle famille nivernaise, dont plusieurs membres ont été inhumés dans cette même église Saint Martin. Son frère Charles, moine de La Charité, était Prieur de Notre-Dame-du-Pré toute proche. Leur mère était Catherine de Loron, cousine germaine de Léonarde. Ils étaient donc parents et l’environnement familial était marqué par le protestantisme, auquel on ne sait si Françoise adhérait.

On ne sait pas non plus où elle était née. Sans doute à la Garde, le fief de son père supposé, où subsistent de beaux restes de l’époque, dont une chapelle ; mais peut-être en Auxerrois où il avait de nombreuses possessions venues des Savoisy…

On peut supposer qu’elle devint dame d’honneur de la Reine Marguerite de Valois après son mariage, vers 1602. Elle lui avait peut-être été présentée auparavant par la duchesse de Nevers, Henriette de Clèves, sa contemporaine – dont elle était vassale – très liée à Margot pour le meilleur et pour le pire.

La reine Margot

Cette reine, ultime représentante des Valois, d’une beauté relevée par ses contemporains, cultivée et libre, immortalisée par Alexandre Dumas et Isabelle Adjani, était alors au déclin de sa vie aventureuse. Son mariage forcé avec Henri de Navarre, infécond et malheureux – ils étaient tous deux d’inlassables séducteurs – avait été annulé en 1599 par le Pape. Ayant choisi le parti de la Ligue et collectionnant les amants – dont le fameux La Mole – elle avait été assignée à résidence par le roi Henri III son frère au château d’Usson, au cœur de son apanage, « parmy les déserts, rochers et montagnes d’Auvergne » selon son ami Brantôme. Elle y passa 19 ans puisque son époux l’y maintint à son avènement au trône pour des raisons autant personnelles que politiques. Il ne l’autorisa à revenir à Paris qu’en 1605 pour soutenir un procès. Elle y mourut en 1615.

Notre Françoise ne connut donc la reine que dans un âge avancé, la débauche ayant laissé place à la dévotion. Elle a certainement fait partie de sa petite cour à Usson, où elle exerça sa charge sous une « Madame de Vermont », première dame d’honneur. Cette forteresse médiévale, la principale d’Auvergne alors, renforcée par Louis XI, dût être une résidence bien froide et austère pour ces dames de la Renaissance, mais Margot y réunissait quelques beaux esprits. On ne peut en voir de nos jours que les ruines, puisqu’elle a été abattue sur ordre de Richelieu en 1634, comme tant d’autres.

Françoise a sans doute accompagné Margot à son retour à Paris et résidé avec elle à l’Hôtel de Sens – où elle a dû mourir – mais n’a pu connaître son nouvel « Hôtel de la Reine», face au Louvre sur la rive gauche, au Pré-aux-Clercs, construit à partir de 1606 et aujourd’hui disparu.

Elle n’aura sans doute pas beaucoup vécu à Favray, une terre de son époux, avec qui elle n’eut que trois ou quatre ans de vie commune, à supposer que leurs obligations respectives ne les aient pas constamment éloignés l’un de l’autre. François se remaria en 1609 et eut une postérité.

Il reste incompréhensible que l’historiographie régionale n’ait pu accéder à des documents qui éclaireraient le destin de cette jeune femme, issue de la plus importante dynastie donziaise, au-delà des quelques mots gravés sur sa pierre tombale.

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Une réflexion sur « Françoise et la Reine Margot »

  1. Beau travail de restitution malgré le peu de documents existants. J’avais photographié cette tombe lors des JEP 2017, ainsi que bien d’autres visibles en cette chapelle. Notamment celle d’un enfant mort en 1698 à l’âge de 7 ans, Etienne Vernet, fils de François.

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