La succession de Perrinet Gressart

Nous avons évoqué dans un précédent article l’épopée du flamboyant Perrinet Gressart, capitaine routier à la solde des Anglais et des bourguignons à la fin de la Guerre de Cent Ans, en Nivernais et Donziais.

Capitaine de La Charité à partir de 1423 pour le compte du « roi de France et d’Angleterre », Henri VI, il tint fermement cette place, considérée comme stratégique en raison des contraintes de franchissement de la Loire, pendant plus de dix ans. Il y résista même aux assauts de l’armée menée par Jeanne d’Arc en 1429. Des garnisons de sa compagnie tenaient aussi Cosne et Varzy.

Utilisant ses moyens militaires et profitant de pillages incessants plus que d’appointements officiels, il s’était sédentarisé dans la région en occupant de vive force ou en acquérant châteaux et terres. Il avait épousé en 1424 une veuve nivernaise : Huguette de Courvol, mariée en premières noces au seigneur de la Maisonfort (Bitry), Jean des Ulmes.

La Motte-Josserand

Nous avons ainsi vu Perrinet à la Motte-Josserand, achetée en 1426 pour 8000 écus d’or à Jeanne de Bazoches, veuve de Tristan de La Tournelle ; une base solide qu’il occupa jusqu’à sa mort. Il occupa également Passy (à Varennes-les-Narcy, chât. de La Marche), tenu par les Chevenon, à partir de 1422, où Huguette demeura seule après sa mort, ou encore Giry (chat. de Montenoison). Il tenait aussi les maisons fortes de Rosemont et de Prye, au cœur du Nivernais.

Passy-les-Tours

N’ayant pas eu d’enfant il avait testé – en des termes assez confus, annonciateurs de litiges – en faveur de deux nièces qu’il avait établies dans la région. Etiennette de Grésille avait épousé François de Surienne, dit « l’Aragonais », son bras droit et successeur, et Jeanne Brotier était mariée à Jacques de la Rivière, de la branche de Champlemy à qui elle avait apporté Giry. Perrinet mourut vers 1442, sans doute à la Motte-Josserand, après une longue résistance aux exigences des différents camps en présence, vis-à-vis desquels il avait pris une grande indépendance.

Giry

Dans le contexte très troublé de la fin de la guerre la mise en œuvre de ses dispositions testamentaires ne pouvait s’effectuer normalement.

André Bossuat, dans son étude magistrale : « Perrinet Gressart et François de Surienne, agents de l’Angleterre » (Paris, Droz, 1936) donne des indications importantes pour l’histoire des sites castraux impliqués, qui nous sont familiers. Il confirme combien leurs dévolutions respectives furent marquées par ces règlements de compte.

Le gouvernement de Charles VII ne pouvait laisser des biens aussi importants passer dans des mains hostiles comme l’étaient restées celles de l’Aragonais. La part d’Etiennette fut donc confisquée et donnée au Chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins, au grand dam des sires de La Rivière, fidèles au comte et au roi, dont le chef de famille Jean, Bailli du Nivernais, frère de Jacques.

Jouvenel était un puissant personnage, véritable Premier Ministre, à l’image de son homologue bourguignon Nicolas Rolin, l’interlocuteur de Perrinet dans une abondante correspondance. Son opulence, sa figure mafflue et son teint couperosé, sont célèbres grâce à son portrait par Jean Fouquet. Déjà largement possessionné en Champagne, il avait formé le projet de s’implanter en Nivernais. Il acheta donc à Huguette la moitié de La Motte-Josserand. Jean de La Rivière, très concerné par les affaires donziaises, s’opposait à la prise de possession de cette forteresse clef par un étranger à la région, mais le roi lui ordonna de remettre le château à son nouveau propriétaire (1446), qui resta ensuite dans sa descendance par des alliances, pendant deux siècles.

Après une phase contentieuse un accord intervint. Giry passa dans les mains des deux frères de La Rivière, tandis que le Chancelier récupérait Rancy, un arrière-fief de Prye. Il effectua sans doute d’autres acquisitions puisqu’on le trouve cité comme maître de Suilly et de la grange de la Fillouse qui en dépendait.

Il tenta même d’avoir Passy, où Huguette de Courvol s’était retirée, mais les droits d’Helyette Girard, belle-fille de Jean de Chevenon, étaient inattaquables. Elle légua le château – sans doute reconstruit par les Chevenon tant il ressemblait à leur demeure éponyme – à son neveu Joachim Girard.

Les hostilités franco-anglaises enfin éteintes et la Bourgogne soumise, le patrimoine de guerre considérable constitué par Perrinet Gressart se trouva dispersé. Son aventure resta une parenthèse de fer et de sang, sans suites familiales ou patrimoniales, et il tomba dans un certain oubli. L’historiographie médiévale du XXème siècle l’en a retiré.

L’Aragonais quant à lui, dépossédé de l’héritage de sa femme, se replia sur ses propres conquêtes et conserva la grande forteresse de Pisy, en Terre-Plaine (Yonne), qui passa à sa postérité. Les artisans de Guédelon en ont maintenant la charge.

L’histoire des sites castraux du Donziais est marquée par l’implication du pays, à son corps défendant, dans cet interminable conflit. L’engagement de Perrinet Gressart, chevalier poitevin sorti du néant mais redoutable chef de guerre, y contribua largement.

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