Des évêques de Bethléem en Nivernais

(Illustration : basilique de la Nativité à Bethléem)

Nous avons rencontré dans nos pérégrinations lignagères trois « évêques de Bethléem » aux XVIème et XVIIème siècles :

  • Philibert de Beaujeu, moine de St-Bénigne de Dijon, grand-prieur de St-Germain d’Auxerre, abbé de St-Séverin d’Aire, fut nommé évêque de Bethléem en 1524 ; il était fils de Jehan de Beaujeu (Beaujeu-sur-Saône, en Franche-Comté) et frère de Claude, sgr de la Maison-Fort à Bitry, et d’autres lieux ;
  • Louis de Clèves, prieur commendataire de La Charité, abbé de Toussaint-de-Chalon et de Bourras, fut nommé évêque de Bethléem en 1605 ; il était le fils naturel de François de Clèves, abbé du Tréport, et donc le petit-fils du duc Engilbert (voyez la généalogie de cette branche bâtarde de Clèves) ;
  • Jean de Clèves, neveu du précédent, chanoine de Saint-Augustin, lui aussi prieur de La Charité, abbé de Toussaint et de Bourras, fut évêque de Bethléem après son oncle, en 1615 ; il était le fils de Louis de Clèves, sgr de Fontaine, et donc l’arrière-petit-fils du même duc.

Avaient-ils rejoint la Palestine pour diriger ce diocèse implanté au lieu même de la naissance du Christ ? Non, mais cela mérite explication. En fait le siège épiscopal de Bethléem, créé en 1110 au royaume franc de Jérusalem, avait été transféré à Clamecy après la reprise de la ville par les Sarrasins (1187) et la chute du royaume.

Pourquoi Clamecy ? C’est que là se trouvait, au bord de l’Yonne, un établissement religieux doté d’un petit domaine : l’hôpital de Panténor, créé vers 1150 par le comte de Nevers Guillaume IV pour accueillir des malades de retour de Terre Sainte. Il était confié à la garde d’un chapitre de huit chanoines réguliers de Saint Augustin et comprenait une chapelle. Guillaume avait légué l’ensemble à l’église de Bethléem en 1167, pendant la troisième croisade d’où il ne revint pas, pour servir de refuge en cas de nécessité. Ce fut le cas : Régnier, dernier évêque de ce diocèse en Terre Sainte, s’installa effectivement à Clamecy en 1223.

                                                     

« La même année 1167, écrit Lebeuf (T III, p. 101), Guillaume partit pour aller à la guerre contre les infidèles dans la Terre Sainte, après en avoir fait publiquement le vœu dans l’église du prieuré de La Charité. Il mena avec lui, à ses propres dépens, un grand nombre de soldats, avec lesquels il arriva heureusement dans la Palestine. Mais à peine eut-il pris l’air du pays qui étoit infecté par la peste, qu’il tomba malade. Après avoir longtemps langui, il résolut de faire son testament. Comme il avoit une dévotion particulière pour Bethléem, il demanda d’y être inhumé ; il légua à cette église de la Palestine, l’hôpital de Panténor du faubourg de Clameci avec ses appartenances, pour servir de retraite à l’évêque de Bethléem (Ex Charta Regnerii Ep. Bethlemiii an. 1223), en cas qu’il fut chassé de son siège par les ennemis de la foi, et l’annexa ou soumit à celui de Palestine, du consentement des chevaliers et barons qui étoient dans son armée. Sa mort arriva à Accaron ou Acre, dite autrement Ptolémaïde, le 24 octobre 1168. Son corps fut porté à Bethléem pour y recevoir sa sépulture, par les soins de son frère Gui, qui l’avoit accompagné dans le voyage… »

Jusqu’à la Révolution, dans une fidélité inébranlable de l’Eglise à cette tradition, des prélats furent nommés à ce siège devenu symbolique.

Leur mission était succincte : il fallait certes entretenir la mémoire de cet ancien diocèse oriental, mais elle s’estompa. En fait ces évêques in partibus administraient l’hôpital et son domaine. Certains d’entre eux prétendirent nommer et diriger le modeste clergé qui desservait Panténor rebaptisé Bethléem. Mais c’était déjà trop pour les évêques d’Auxerre, qui considéraient que cette chapelle était sous leur juridiction. Cela leur fut contesté d’ailleurs au XVème siècle par ceux d’Autun, voisins également, malgré un arbitrage rendu dès 1211 en faveur d’Auxerre. Lebeuf rapporte les querelles qui mirent aux prises l’évêque Pierre de Longueil et le cardinal Jean Rolin, d’Autun, fils du grand Chancelier de Bourgogne.

La chapelle originelle de l’hôpital de Bethléem devenu évêché, détruite par les guerres du moyen-âge, fut reconstruite en 1445 dans le style gothique, mais privée de son clocher et de ses chapelles. Ce bâtiment est toujours visible, enchâssé dans le faubourg.

         

Après un épisode révolutionnaire agité au cours duquel elle abrita un « club des Sans-Culottes », elle fut transformée en hôtel au XIXe siècle. Elle est aujourd’hui restaurée et sa nef voutée d’ogives sert toujours de salle à manger à « l’Auberge de la Chapelle ».

                                                       

Le Concordat a remodelé les diocèses. Le pape Pie VII décida alors « que l’évêché de Bethléem-les-Clamecy serait canoniquement annulé, supprimé et éteint à perpétuité. » L’ensemble du département de la Nièvre passa sous la juridiction de Nevers. Plusieurs prélats demanderont ensuite que leur soit conféré le titre d’évêque in partibus de Bethléem, ce qui leur sera toujours refusé. En 1840 ce titre fut donné à l’abbé de Saint Maurice d’Agaune en Valais, haut lieu chrétien de l’ancien royaume de Bourgogne.

En 1849, Mrg Dufêtre réorganisa son diocèse. Voulant perpétuer le souvenir de Bethléem, il donna ce nom à l’archidiaconé de Clamecy, Cosne et La Charité, qui fut confié à Mgr Crosnier, vicaire général et historien émérite du Nivernais.

Au faubourg de Clamecy érigé en paroisse, une église dite de Bethléem, fut construite sous le second Empire, remplacée vers 1930 par une nouvelle, construite en béton dans le goût byzantin pour rappeler cette histoire. Elle surprend toujours un peu le visiteur qui traverse l’Yonne.

                    

On comprendrait sans peine qu’entre l’affectation profane de leur chapelle, sous laquelle ils ont été sans doute ensevelis, et ce monument improbable de la modernité qui se mire dans l’Yonne, nos vieux évêques de Bethléem se retournent dans leurs tombes…

 

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3 réflexions sur « Des évêques de Bethléem en Nivernais »

  1. Sur la commune de St-Verain, un ruisseau porte le nom de Jourdain; il est jalonné de lieux tels que Jérusalem et Nazareth. Faut-il y voir une histoire ancienne liée aux Croisades, ou la fantaisie d’un propriétaire du 19ème siècle? Merci d’avance.

    1. Bonjour,
      oui bien sûr, ces évocations de la Terre Sainte sont à relier directement à l’engagement important des sires de Saint-Verain dans les croisades successives.
      Voir à ce sujet le livre des Mirot sur « La Seigneurie de Saint-Verain des Bois » (Chez Delayance, La Charité, 1943) et les différents articles que nous y consacrons.

      Bien cordialement

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