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Figures donziaises dans la Révolution : le marquis de Bonnay

Le marquis de Bonnay (1750-1825) fut un personnage important des débuts de la Révolution, dans le camp des monarchistes, mais acquis aux idées nouvelles.

En Donziais il était un seigneur modeste, n’y possédant que la petite terre de Presle, détachée au XVIIème siècle de celle de Suilly, apportée par son aïeule Marie Lucquet, d’une famille de notaires de Donzy.

Restes du manoir de Presle

Il était le dernier représentant d’une lignée chevaleresque originaire du Bourbonnais, implantée également en Berry et en Nivernais, connue depuis le XIVème siècle, né au château de la Grange à Cossaye (58).

Après avoir été page du roi Louis XV (1765) il avait été reçu dans la prestigieuse « compagnie de Villeroy » des Gardes du Corps, et avait accédé aux grades de capitaine puis de mestre de camp de Cavalerie.

A 39 ans, il entama une carrière politique en devenant député suppléant de la noblesse du Nivernais-Donziais aux Etats-Généraux, où il siégea rapidement comme titulaire après la démission du comte de Damas d’Anlezy. Il joua dès lors un rôle marquant aux Assemblées Constituante puis Législative, dont il fut élu Président deux fois en avril puis en juillet 1790. Il est connu principalement pour sa contribution décisive à l’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il avait participé à sa rédaction et animé avec brio les débats pour obtenir un consensus qui paraissait impossible. On lui doit en particulier plusieurs points essentiels comme la non-rétroactivité des lois pénales ou encore l’article 10 sur la liberté d’opinion.

Ancien élève du Collège des Oratoriens de Juilly, dont les méthodes participatives d’enseignement faisaient appel à l’intelligence et non plus seulement à l’apprentissage répétitif, Bonnay s’était ouvert aux idéaux des Lumières, tout en restant fidèle à la couronne par atavisme familial, prônant donc une monarchie tempérée.

Le destin funeste du roi devait mettre fin rapidement à sa première carrière politique. Au lendemain de Varennes, il fut accusé d’avoir été informé de la fuite du roi et de ne pas l’avoir dénoncée. Mais il s’en défendit avec clarté et succès : « Si le roi m’avait consulté, dit-il, je ne lui aurais pas conseillé ce voyage ; mais si j’avais reçu l’ordre de l’accompagner, je me serais empressé d’obéir et de mourir à ses côtés ».

Quand le pouvoir fut retiré au monarque, il décida de ne plus prendre part aux délibérations de l’Assemblée, dont il avait refusé de prendre à nouveau la présidence en décembre 1790. Il émigra alors avec le comte de Provence – futur Louis XVIII – pour remplir près de lui les fonctions de ministre pendant son séjour à Varsovie, puis en Angleterre.

La Restauration le ramena aux affaires. En juin 1814, il fut nommé ministre plénipotentiaire à Copenhague et resta à ce poste pendant les Cent-Jours. Nommé Pair de France en 1815, il vota pour la mort dans le procès du maréchal Ney. Il fut promu lieutenant-général la même année et nommé en 1816 envoyé extraordinaire et plénipotentiaire à Berlin.

Il acheva son brillant parcours comme ministre d’État, membre du Conseil privé du Roi (1820) et gouverneur du château de Fontainebleau (1821). Il mourut le 25 mars 1825 à Paris laissant deux enfants de sa première femme, fille d’un riche bourgeois de Valenciennes.

Il avait eu plusieurs maîtresses dont la fameuse « madame de La Briche », Adélaïde Prévost, fille d’un Receveur général et femme d’un Introducteur des Ambassadeurs, d’une riche famille de Fermiers généraux, qui l’avait laissée veuve très jeune. Elle tenait un salon brillant qui prenait ses quartiers d’été au château du Marais, où Bonnay fut assidu.

Véritable rival de Mirabeau au sein de l’assemblée, Charles François de Bonnay – plus rigoureux à certains égards que « l’Orateur du Peuple » – est tombé dans l’oubli car si son rôle personnel fut important au tout début de la Révolution, il s’en était éloigné très vite. Sa seconde carrière sous la restauration fut moins marquante.

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Figures donziaises dans la Révolution : Toulongeon

Avec François-Emmanuel de Toulougeon (1748-1812), historien et homme politique, voici une autre de ces figures mutantes, de l’ancien monde au nouveau au tournant du XIXème siècle.

Le vicomte de Toulongeon appartenait par sa famille paternelle, connue depuis le XIIIème siècle, à la noblesse franc-comtoise d’ancienne extraction chevaleresque. Fils cadet du comte de Toulongeon, né au château de Champlitte (Haute-Saône), il siégea aux Etats-Généraux au titre de la noblesse de Franche-Comté, puis fut député de la Nièvre à l’Assemblée législative, du fait de son installation en Nivernais.

Ayant renoncé aux Ordres religieux auxquels sa famille le destinait, il avait mené une carrière militaire jusqu’au grade de « colonel des Chasseurs de Franche-Comté ». Mais à la différence de ses deux frères, officiers généraux démissionnaires en 1792, il adhérait aux idées nouvelles et n’émigra pas.

Dans son discours d’admission à l’Académie de Besançon en 1779, il avait montré ses préférences en faisant l’éloge de Voltaire et de Fontenelle. Il s’était fait connaître à l’occasion des Etats de Franche-Comté réunis à Quingey, en publiant en 1788 des « Principes naturels et constitutifs des assemblées nationales », qui montraient un intérêt pour une monarchie constitutionnelle, le désignaient à l’attention de ses pairs, et lui permirent d’être élu du Bailliage d’Aval (Lons-le-Saulnier) ; son frère l’étant au Bailliage d’Amont.  En juin 1789 il fut parmi les premiers à choisir de siéger avec le Tiers.

Retiré à la campagne en 1791, à la fin de l’Assemblée Constituante, il se consacra à l’histoire, à la littérature, à la gravure et à la musique dans son château du Grand-Sauzay à Corvol-l’Orgueilleux, dont nous avons proposé l’histoire, qu’il tenait de la marquise d’Azy, sœur de sa mère.

L’ancien château (ferme fortifiée) du Grand-Sauzay à Corvol-l’Orgueilleux

Il montra toujours un intérêt intellectuel pour la vie publique, publiant par exemple en l’an IV un « Manuel révolutionnaire » qui lui valut d’être élu à l’Institut dans la classe des sciences morales et politiques. Le moment venu, il rallia l’Empire et fut à nouveau, malgré ses réticences vis-à-vis de l’action politique, député de la Nièvre en 1802, siégeant au Corps Législatif jusqu’à sa mort en 1812.

Toulongeon est surtout connu pour son « Histoire de la France depuis la Révolution de 1789, écrite d’après les mémoires et manuscrits contemporains recueillis dans les dépôts civils et militaires » (Trettel et Würtz, 1801-1810), qui eut un grand succès. Mais il s’intéressa également à l’économie et à la botanique, et publia de nombreuses études ou travaux pour l’Institut.

Jacques Bertaux : « La prise des Tuileries » 

Il avait épousé Emilie Bertaux, fille du peintre Jacques Bertaux, dont il n’eut pas d’enfants. En mars 1801 furent publiées des « Lettres de la Vendée, écrites en fructidor an III, jusqu’au mois de nivôse an IV » signées Emilie T. Ces lettres d’une femme constituent le roman des amours contrariés de Louise, la noble Vendéenne, et de Maurice, le gendarme républicain.

Œuvre de réconciliation au lendemain de la guerre de Vendée, le roman met en scène la vie quotidienne pendant la Révolution et propose une réflexion originale sur les relations entre les femmes et les hommes. Si Louise parvient à aimer librement Maurice, la Vendée pourra consentir à la République. Certains critiques considèrent, en raison des analyses politiques que l’œuvre recèle, que Toulongeon en était l’auteur.

Petit château du Grand-Sauzay (XVIIIème)

Retiré en Donziais, François-Emmanuel de Toulongeon fut un « honnête homme » du XVIIIème siècle, ouvert aux idées des Lumières, prêt à renoncer à ses privilèges et adepte d’une monarchie constitutionnelle. Il fut un analyste clairvoyant de la Révolution – depuis son cabinet qui dominait la vallée du Sauzay – plutôt qu’un de ses acteurs.

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La belle dame de la Motte-Josserand (1650-1685)

(Portrait : Hortense Mancini, duchesse de Mazarin et de La Meilleraye)

Depuis 1447, date de son acquisition par le Chancelier Jean Jouvenel des Ursins, la Motte-Josserand, forteresse mythique du Donziais au bord du Nohain à Perroy, dont nous avons souvent parlé, passait par héritage de famille en famille.

Mais vers 1650 elle fut vendue par son dernier héritier, le maréchal de Vitry, au duc de Villars. Ce fut la première d’une série de cessions qui fit de ce haut lieu de la Guerre de Cent Ans un simple objet de spéculation. Les seigneurs n’y résidaient généralement pas : le château était solide – n’est-il pas toujours debout ? – mais inconfortable pour ces habitués des beaux hôtel parisiens.

Le duc de Villars fit don de La Motte-Josserand à Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, lieutenant général, frère de sa première épouse. Cette grande famille lorraine avait donné un siècle plus tôt deux prieurs de La Charité : Robert de Lenoncourt (1510-1561), archevêque de Toulouse et cardinal, mort au prieuré où il s’était retiré, et son neveu Philippe de Lenoncourt (1527-1592), évêque d’Auxerre, lui aussi cardinal et surtout proche conseiller du roi Henri III.

Lenoncourt, en Lorraine : « D’argent à la croix engrêlée de gueules »

La fille de Joachim, Marie Sidonie de Lenoncourt, (1650-1685), encore enfant, resta seule héritière de ses grands biens, dont la Motte-Josserand. Devenue marquise de Courcelles  par son mariage avec Charles de Champlais, lieutenant général de l’Artillerie, neveu du maréchal-duc de Villeroy, elle eut une vie mouvementée. Son incorrigible galanterie et l’éternelle convoitise des hommes, la perdirent. Ses Mémoires donnent un récit édifiant des passions et des malheurs de cette ravissante jeune femme, dans les premières années du règne de Louis XIV.

Sidonie de Lenoncourt, marquise de Courcelles, dame de La Motte-Josserand

Soustraite très tôt à l’influence jugée néfaste de sa mère, une princesse allemande qui menait une vie déréglée, elle fut élevée par une tante austère, abbesse de St-Loup d’Orléans. Mais elle fut retirée à l’autorité de l’abbesse par Colbert qui convoitait son nom et sa fortune pour son frère Maulévrier. Elle fut donc confiée par lui à la garde de Marie de Bourbon-Condé, princesse de Carignan et subit auprès d’elle à l’hôtel de Soissons, haut-lieu de l’intrigue, l’influence déplorable de sa belle-fille, Olympe Mancini, nièce du cardinal Mazarin, dont la vie ne fut que scandales.

Prise dans un maelström de débauche et de pouvoir, elle fut mariée à 16 ans au marquis de Courcelles par les sœurs de ce dernier dont l’objectif était de la pousser dans le lit de Louvois, qui se consumait d’admiration pour elle. Malgré l’aversion qu’il lui inspirait, elle fut contrainte de devenir la maîtresse du puissant ministre à 18 ans.

Elle entama peu après avec François de Neufville, duc de Villeroy, maréchal de France, un cousin de son mari, une carrière amoureuse pleine de rebondissements. Villeroy, qui avait d’autres attachements, l’abandonna à la colère de son mari trompé, qui l’exila à Courcelles chez sa belle-mère. Elle y rencontra un certain sieur de la Ferrière dont elle eut une fille qui ne vécut pas.

Le marquis de Courcelles, excédé, la fit alors enfermer au couvent des Filles de la Visitation Sainte-Marie, rue Saint-Antoine – dont seule l’église subsiste, devenue un temple protestant – . Elle y retrouva Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, sœur d’Olympe, aussi jolie et délurée qu’elle et que leur sœur Marie, le premier amour du jeune Louis XIV. Toutes trois étaient soeurs de Philippe Mancini, duc de Nivernais, suzerain de la Motte-Josserand à cause de Donzy. Le mari d’Hortense, duc de la Meilleraye, Grand-Maître de l’Artillerie, avait placé sa femme dans ce couvent pour les mêmes raisons. Sidonie s’en échappa après quelques mois, mais les jalousies additionnées de son mari et de Louvois lui valurent d’être enfermée à la Conciergerie, et condamnée en 1672 au cloître et à la confiscation de ses biens.

Mme de Sévigné s’en amusait : « L’affaire de Mme de Courcelles réjouit fort le parterre ; les charges de la Tournelle sont enchéries depuis qu’elle doit être sur la sellette. Elle est plus belle que jamais, elle boit, et mange, et rit, et ne se plaint que de n’avoir point encore trouvé d’amants à la Conciergerie. »

Grâce à quelque complicité, elle parvint à nouveau à échapper à ses gardiens et gagna la Franche-Comté puis Genève, Annecy, et Avignon, non sans de nouvelles aventures. Elle rejoignit alors Hortense à Londres, où elle était devenue la maîtresse du roi Charles II. Revenue à Paris et enfin veuve, Sidonie fut à nouveau arrêtée en 1678, car son beau-frère avait repris les charges contre elle. Elle ne fut libérée qu’en 1680 et épousa cette fois un obscur capitaine de dragons, Jacques Gaultier. Elle mourut 5 ans plus tard, sans descendance .

Il est probable que ses passions, ses enfermements et ses exils ne lui laissèrent pas l’occasion de venir à la Motte-Josserand, dont ses hommes de loi s’occupaient et qui fut vendue sur saisie après sa mort. Un acte de 1694 conservé aux archives de l’Yonne évoque : « les droits des sieurs François Le Boultz de Chaumot et Gaspard Brayer, conseiller au Parlement, adjudicataire au prix de 30.000 L. de la terre et seigneurie de La Motte-Josserand, saisie réellement sur les successions de Marie-Sidonie de Lenoncourt, épouse de Jacques Gaultier, sgr du Tilleul…etc. »

En ce siècle de tous les débordements, la beauté et la richesse, privées des remparts de la vertu, avaient valu bien des déboires à cette belle « dame de la Motte-Josserand ».

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Figures donziaises dans la Révolution : Charles André Dupin

(Illustration : Varzy)

Nous connaissons les trois frères Dupin, dont les brillantes carrières sous la Monarchie de Juillet ont illustré leur Nivernais natal, qu’ils n’ont jamais délaissé et où ils se sont établis avec soin, à Corbelin, au Réconfort, à Chitry, et à Raffigny.

Leur père, Charles André DUPIN (1758-1843), magistrat à Clamecy, député, les avait précédés. Il avait participé aux débats de la Révolution : un homme du juste milieu, ouvert aux idées nouvelles sans rejeter l’ancien temps qui avait permis à sa famille de prospérer. Heurté par des excès dont il faillit être victime, peu attiré par les honneurs et attaché à son petit pays, il choisit finalement d’y revenir et d’y reprendre une vie de magistrat et d’administrateur. Au XVIIIème siècle on aurait dit : « un honnête homme ».

Charles André Dupin

Nous avons évoqué la Famille Dupin, originaire de Varzy, cité épiscopale auxerroise, dont une branche s’est implantée à Clamecy et en Donziais. Les Dupin appartiennent à la bourgeoisie ancienne : ils sont connus à Varzy comme avocats et magistrats (baillis) depuis la fin du XVIème siècle. Enrichis par leurs charges et grâce à de bonnes alliances, ils acquièrent des terres et des moulins à forge comme celui de Croisy sur le Sauzay. Le père de Charles André, André Dupin, déroge à cette tradition : il est un médecin estimé à Clamecy où il a épousé en 1754 la fille d’un notaire royal. Il en a été maire, nommé par le roi, en 1769.

Charles André quant à lui fait des études de Droit à Paris et revient s’installer à Clamecy comme « procureur du roi auprès du Grenier à Sel », à 20 ans (1779). La valeur et …le soutien familial n’attendent pas le nombre des années. C’est une charge importante en cette époque de contestation des rigueurs du monopole royal du sel. Le « Grenier à Sel » est certes un entrepôt comme son nom l’indique, mais c’est surtout une juridiction spécialisée. La vieille maison qui l’abritait a été détruite.

Clamecy – Le Grenier à Sel

Le jeune procureur épouse deux ans plus tard une cousine, Catherine Dupin, fille d’un bailli de Varzy, qui lui apporte notamment la petite terre de Cœurs à Marcy, non loin de Champlemy, achetée en 1670 aux Lamoignon par son grand-père. Il en aura les trois fameux garçons mais, signe des temps, divorcera. Avocat en Parlement (1783), puis Conseiller et Lieutenant particulier au Bailliage ducal de Clamecy (1785), il est aussi procureur-syndic en l’Election, et donc le principal magistrat ducal et royal de la ville.

La Salle du Manège (Tuileries)

En 1791, ce notable reconnu pour ses compétences est élu député à l’Assemblée Législative, 6ème sur 7 dans la Nièvre, avec un système électoral encore très élitiste puisqu’il n’y a que 250 électeurs dans le département. Il ne jouera pas un rôle politique marquant dans la Salle du Manège des Tuileries où se réunissent les députés. Les positions modérées ne peuvent se faire entendre au milieu des outrances. Ce « modérantisme » suspect lui vaudra même d’être emprisonné sous la Terreur à Nevers, puis au château de Pressures, près de Clamecy, transformé en prison pour les opposants. Finalement le soutien populaire qui lui est manifesté contraindra le Représentant en mission à le libérer (1794).

Représentant en mission

Il reprend peu après une carrière locale (1796), comme juge, comme Commissaire du Gouvernement au Tribunal de Clamecy, puis comme commissaire central près l’administration de la Nièvre (1798).

En 1799 il est élu député au Conseil des Anciens sous le Directoire, et entre sous le Consulat au Corps législatif, où il siège jusqu’en 1804.

Après avoir servi à l’Inspection générale de la gendarmerie, il revient à Clamecy où il est nommé procureur impérial près le tribunal de première instance (1806). Il exerce ensuite la fonction de sous-préfet de Clamecy (1815-1830). Il refuse constamment l’avancement qu’on lui propose pour se dévouer à sa petite patrie. Ainsi, il est nommé conseiller d’État en 1830, mais s’estime trop âgé et donne sa démission pour rester à Clamecy où il meurt le 21 novembre 1843.

Clamecy – La Sous-Préfecture

Un sage donc, conscient de ses limites, il aura simplement fait son devoir, y compris à la capitale, au milieu d’évènements qui le dépassaient sans doute. Attaché à sa vallée de l’Yonne et à sa ville, il laissera la gloire parisienne à ses fils.

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Figures donziaises dans la Révolution : Champion de Cicé

En poursuivant nos rencontres avec des personnalités impliquées dans la Révolution, abordons un cas spécifique : Jean-Baptiste CHAMPION de CICE (1725-1805), dernier évêque d’Auxerre, qui en fut un adversaire résolu mais éphémère. La suppression de son diocèse en 1790 le surprit alors qu’il séjournait en Allemagne. Il y resta et y mourut.

L’itinéraire de ce prélat nous intéresse puisque notre petite région était partie intégrante de l’ancien diocèse d’Auxerre, dans la matrice duquel la baronnie de Donzy était née et avait prospéré. Cet évêché historique, dont le temporel considérable n’était pas fait pour plaire aux révolutionnaires, fut supprimé par l’Assemblée constituante en 1790. Son territoire fut rattaché pour l’essentiel à Sens, vieille métropole ecclésiastique. La majeure partie de l’ancien Donziais ayant été versée dans le département de la Nièvre releva dès lors du diocèse de Nevers. Les liens ancestraux entre Donzy et Auxerre, déjà bien affaiblis par cinq siècles d’administration comtale puis ducale à Nevers, étaient définitivement rompus.

En 1823, l’archevêque de Sens, dont le diocèse étendu correspondait au département de l’Yonne, fut autorisé à relever le titre d’évêque d’Auxerre. Plus tard, les archevêques de Sens-Auxerre se réinstallèrent dans la cité de Saint Germain, mais sur un pied plus modeste : le palais épiscopal (XIème-XIIIème) au chevet de la cathédrale St-Etienne, dominant la rivière, était devenu la Préfecture, par décision de l’Empereur.

Fils d’un conseiller au Parlement de Bretagne – sgr de Cicé à Bruz, au bord de la Villaine ; une terre érigée en baronnie par Henri IV – Jean-Baptiste Champion de Cicé appartenait à la noblesse de cette province. Il avait fait ses études à Paris où il était devenu docteur en théologie, puis vicaire général du cardinal de La Rochefoucauld. Il avait été nommé en 1758 évêque de Troyes, et transféré à Auxerre en 1760.

Comme évêque d’Auxerre pendant 20 ans, il montra une grande et subtile activité pour éradiquer les traces encore importantes de Jansénisme dans le clergé, tout spécialement au sein du chapitre cathédral d’Auxerre. Son prédécesseur Jacques de Condorcet, oncle du grand savant, n’en était pas venu à bout. Nous avons évoqué l’étonnante implantation de cette version dégradée et tardive de la doctrine de Port-Royal sous l’influence de Mgr de Caylus, dans l’article intitulé Port-Royal en Puisaye. Elle était encore prégnante chez nombre de prêtres influents en 1789. Lorsqu’il leur fallut élire leur représentant aux Etats-Généraux l’évêque ne fut élu qu’à une faible majorité. Ajouté à l’impact profond et parfois radical de la Réforme, cet épisode janséniste avait préparé d’une certaine façon les remises en cause de la Révolution. Mgr Champion de Cicé en fut un adversaire farouche mais les évènements le rattrapèrent.

Le mouvement révolutionnaire heurtait cet esprit classique, attaché aux traditions de l’Eglise, fidèle à la Couronne et au Saint-Siège. Il siégea donc aux Etats-Généraux au titre du Clergé, puis à l’Assemblée Constituante (juin 1789 – sept 1791), dans l’opposition.

L’année 1790 fut particulièrement éprouvante pour l’Eglise : la suppression des ordres religieux (février) – dont les monastères n’étaient toutefois plus très actifs dans la région, comme nous l’avons montré – (Bourras, Roches, Bellary, L’Epeau, Cessy, Saint-Laurent…etc.) – ; la Constitution civile du Clergé, approuvée par le roi après une longue hésitation (juillet), à laquelle l’évêque se refusa naturellement ; la suppression de son diocèse, actée en novembre de cette même année, alors qu’il en était éloigné. N’acceptant pas cette mesure, il fut déchu de son autorité épiscopale. Il constata avec amertume que la majorité du clergé d’Auxerre, acquise aux idées nouvelles et en délicatesse avec Rome, prêtait serment. Seuls quelques fidèles résistèrent ; ils subirent les foudres du nouveau pouvoir.

Champion de Cicé ne pouvait jouer un rôle actif dans ces assemblées dont il désapprouvait les orientations dominantes. Par une de ces incongruités dont les destins individuels confrontés à la grande histoire ont le secret, alors que la Nation travaillait fébrilement à son avenir, notre évêque se rendit en Allemagne pour « prendre les eaux ».

Il ne revint jamais en France et mourut à Halberstadt en 1805, où il est inhumé dans le cimetière des moines franciscains.

Son frère cadet Jérôme Champion de Cicé, qui professait des conceptions plus ouvertes au changement, eut une carrière prestigieuse. Il fut évêque-comte de Rodez, puis archevêque de Bordeaux et Garde des Sceaux de Louis XVI – qui l’avait choisi justement pour ses « idées avancées » -. Il émigra cependant et revint en France sous le Consulat. Il fut alors nommé archevêque d’Aix.

Leur sœur Adélaïde Champion de Cicé, formée par sa mère à la piété et à la charité, fonda en 1791 avec un jésuite les Filles du Coeur de Marie, des religieuses en habits laïcs et fondues dans le monde pour échapper aux sanctions du pouvoir. Elle fut arrêtée en 1799, car elle avait donné asile à l’un des auteurs de l’attentat de la rue Saint-Nicaise contre le Premier Consul, mais elle fut acquittée.

Avec Jean-Baptiste Champion de Cicé, 105ème et dernier évêque d’Auxerre, s’achevait une histoire de quinze siècles, celle du diocèse fondé par Pèlerin, le martyr de Bouhy, que l’abbé Lebeuf nous a racontée. Celle de notre petite région lui avait été étroitement liée.

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