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1523 : le dilemme des seigneurs donziais…

(Illustration : sceau de la Prévôté de Villeneuve-le-Roi)

Nous avons souvent évoqué la dualité qui caractérisait la baronnie de Donzy : elle appartenait aux comtes puis ducs de Nevers depuis Hervé IV de Donzy, mais ils la tenaient en fief des évêques d’Auxerre, à qui ils devaient, bon gré mal gré, rendre hommage.

Revenons sur la fameuse « affaire du Bailliage », que nous vous avons déjà présentée, qui illustrait parfaitement cette dualité. Le diocèse d’Auxerre, incluant le comté et les baronnies de Donzy, Toucy-Saint-Fargeau et Saint-Verain, releva du vaste Bailliage royal de Sens, l’un des premiers créés, puis de la Prévôté de Villeneuve-le-Roi (aujourd’hui Villeneuve-sur-Yonne) qui en dépendait. Lorsque le comté d’Auxerre fut englobé dans le domaine royal le roi décida d’y établir un nouveau bailliage (1371), associé à Sens puis de plein exercice, dont le ressort devait englober « tous les territoires compris entre la Loire, la Cure et l’Yonne », au grand dam des officiers de Sens et de Villeneuve dont les affaires allaient en pâtir. Cela alimenta une querelle interminable.

Les seigneurs donziais étaient partagés : ils souhaitaient absolument conserver la Coutume d’Auxerrois qui les avait toujours régis, mais ne voulaient pas être agrégés au Gouvernement de Bourgogne avec le comté d’Auxerre. Leur baron, à qui ils rendaient hommage – qui n’était pas alors le maître de Nevers, mais son beau-frère Odet de Foix, « maréchal de Lautrec », époux de Charlotte d’Albret -, les y encourageait. Le comte de Nevers souhaitait quant à lui unifier ses possessions sous la Coutume de Nivernais et le bailliage royal de Saint-Pierre-le-Moutier. Après de longues joutes, le Parlement de Paris avait finalement tranché cet imbroglio en faveur d’Auxerre au début de 1523.

Des séances de concertation avec les seigneurs réticents furent donc organisées pour faciliter l’exécution de cet arrêt. Le pouvoir royal était certes en marche vers l’absolutisme, mais le droit féodal venu du fond des âges avec ses justices seigneuriales, leurs baillis, leurs lieutenants et leurs geôles, ne pouvait être négligé. Les donziais auraient préféré rester dans le ressort de Villeneuve-le-Roi, qui n’était pas bourguignon, mais ils acceptèrent finalement ce rattachement à condition qu’il n’entrainât pas dépendance de Dijon, dont ils craignaient les implications fiscales. Ils obtinrent gain de cause, ajoutant une couche au mille-feuille institutionnel de l’ancien régime.

L’Abbé Lebeuf, dans son grand ouvrage « Mémoires concernant l’histoire civile et ecclésiastique d’Auxerre et de son ancien diocèse » (1743), décrit en détail ces séances. C’est un catalogue des titulaires de fiefs à cette date, incomplet cependant car tous n’étaient pas présents ou représentés. L’orthographe des noms et des lieux est approximative car le digne abbé a dû déchiffrer des procès-verbaux manuscrits d’époque, comme l’avait fait un siècle plus tôt l’abbé de Marolles pour son « Inventaire des Titres de Nevers ».

Nous connaissons presque tous les protagonistes de ces séances animées par un Commissaire désigné par le Parlement : Robert Thiboust, conseiller. Son impartialité fut contestée par les sénonais non sans raisons car il était le propre neveu de l’évêque Jean Baillet (1477-1513), prédécesseur à Auxerre de François de Dinteville (1513-1530). Mais le Parlement, vaste théâtre d’influences entre ces titulaires de charges vénales, ne s’encombrait pas de ce genre de scrupule.

Voyons qui était présent à Cosne le 10 octobre 1523 – peut-être dans la belle salle du Palais épiscopal – en reprenant l’énumération de Lebeuf avec quelques indications complémentaires (un lien vous permet d’accéder aux articles correspondants) :

  • « Edmond du Chesnoy, écuyer, seigneur de Neuvy, qui fit pour sa part les mêmes remontrances qu’il avait déjà faites : que ce serait à condition que Neuvy ne serait point réputé du Gouvernement d’Auxerre» ; ceux qui suivent faisaient les mêmes réserves ;
  • « Le procureur de Simon Guytois, dit de La Grange, écuyer, seigneur d’Arquien et de la Baudière» ; ce Simon était issu des sires de La Grange du Berry, qui avaient pris le nom et les armes des Guytois, anciens seigneurs d’Arquian, après une alliance ;
  • « Claude d’Ancienville, commandeur d’Auxerre, comme seigneur de Villemouzon» ; ce commandeur de la maison mère de Villemoison, était aussi le seigneur des terres que cette petite commanderie détenait autour de Saint-Père ; le temporel avait pris le pas sur le spirituel dans ces établissements en déclin ;
  • « Marie de la Fontaine, veuve de Gilbert de Saint-Quentin, dame en partie de Miennes et de Cours, et pour le tout de la Motte, du château des Barres, de Seuilly et de Senon, en la paroisse de la Celle-sur-Loire » ; en fait Marie de Fontenay, héritière par sa mère de biens des sires de La Celle de la maison de Saint-Verain, notamment Myennes et Cours;
  • « Marie de Prenay, dame usufruitière de Pontaubry» ; fille de Miles de Pernay, sgr de Port-Aubry, au bord de la Loire, et capitaine de la tour de Cosne ; épouse de Didier d’Armes, sgr de Busseaux ;
  • « Jacques et François de Prenay, sieurs de la Bretauche», les frères de Marie qui détenaient le fief de la Bertauche, sur le plateau entre Loire et Nohain, près de Montchevreau ;
  • « François du Chesnay, écuyer, sieur de la Cour » ; frère cadet d’Edmond ci-dessus ; la maison dite « de La Cour de Judée » est la plus ancienne de Neuvy ;
  • « Jean de Vieilbourg, écuyer, sieur de Mocques, Villardeau, paroisse de Saint-Martin-du-Tronsec, et la Rivière-du-Moulin-l’Evêque, paroisse de Nuzy» ; époux de Jeanne de Fontenay, sœur de Marie ci-dessus ;
  • « Les héritiers d’Alexandre de Corvol, écuyer, sieur de Faveray et Villiers» ; il s’agit ici de Favray, avec son petit manoir Renaissance au bord du Fontbout, à St-Martin-sur-Nohain, et du hameau voisin de Villiers ;
  • «Les héritiers de Jehan Baudu, seigneur de Saint-Dandelein » ; ce marchand de Cosne, mêlé de près au conflit qui mit le comte de Nevers, dont il était l’un des hommes, aux prises avec l’évêque d’Auxerre à Cosne, en fut châtelain ainsi que de Donzy et Châteauneuf ; il détenait la terre de Saint-Andelain, au cœur du vignoble ;
  • « Pierre de Corguilleray, écuyer, seigneur de Dracy, à cause des Ormes-Secs» ; c’était le seigneur de Tracy (-sur-Loire), fief tenu du comte de Sancerre, qui détenait aussi les Ormousseaux à Saint-Père ;

Lebeuf cite enfin quelques personnages et fiefs qui n’ont pas laissé de traces : « Guillaume Charnier ou Charmois, écuyer, sieur de Launay-les-Neuvy ; Renaud de Prégrimaud, écuyer, seigneur de Damemarie, tuteur des enfants de Charles Tholet ou Cholet, sieur du Mont et de Regard ; Jeanne Maillard , dame de l’Espineau ; Marguerite de Bruillard, veuve de François Léger, comme dame de la Celle, avec les enfants de Jean Baudu ; Pierre Boucher, écuyer… » . Il nous faudra les retrouver.

Ces quelques pages très vivantes énumèrent des titulaires de fiefs à l’ouest du diocèse, à qui ce rattachement pouvait poser problème, au cours de séances tenues également à Varzy, Donzy, Druyes, Saint-Fargeau et Clamecy au cours de ce même mois. Notre baronnie n’y est pas mentionnée comme échelon intermédiaire, alors que les protagonistes, sauf quelques exceptions à Saint-Fargeau, Varzy et Clamecy, étaient des seigneurs dont la justice relevait en appel du Bailli de Donzy. Il est vrai que les instances royales à Auxerre et Saint-Pierre-le-Moutier, transformées peu après en Sièges présidiaux, prenaient progressivement le pas sur celles de Donzy et de Nevers.

Quoiqu’il en soit, le dilemme des Donziais, dont Lebeuf témoigne fidèlement malgré son atavisme auxerrois, rappelle une fois encore la singularité de ce territoire écartelé entre deux dépendances, que des auteurs contemporains ont complètement identifiée et nous ont permis d’approcher.

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Une longévité exceptionnelle !

« Le comté de Nevers est l’un des rares grands fiefs ayant duré autant que la monarchie française. Formé en 990, il n’a disparu qu’à la Révolution » écrit René de Lespinasse, archiviste-paléographe, historien du Nivernais ancien, en ouverture de son grand ouvrage : « Le Nivernais et les comtes de Nevers » (chez H. Champion, Paris, 1909, 3 tomes).

La baronnie de Donzy a eu la même longévité : née comme seigneurie avant l’an Mil, associée au comté de Nevers deux siècles plus tard, elle s’est maintenue avec sa spécificité dans les mains des comtes puis ducs « de Nevers et de Donzy », jusqu’à la nuit du 4 aout 1789.

Voyez les pages que nous consacrons à l’un (Nevers) et à l’autre (Donzy)

                                                                            

(Sceau de Guillaume Ier, comte de Nevers)

Quel fut le secret de cette longévité, qui différencie notre région de la plupart des autres grands fiefs, en particulier les plus proches ?

Le duché de Bourgogne, puissant voisin, lié historiquement au Nivernais – même si ce dernier n’en dépendait pas formellement – fut annexé au royaume par Louis XI à la mort du Téméraire, en 1477.

Le comté de Champagne-Blois fut intégré au domaine royal par le mariage de l’héritière, Jeanne, avec Philippe IV le Bel dès 1284, suivant la stratégie capétienne d’alliances politiques, reproduite au fil du temps pour Toulouse, la Provence, la Bretagne…etc.

Le duché de Bourbon, devenu capétien au XIIIème siècle, résista plus longtemps comme fief autonome mais devint finalement un apanage royal au début du XVIème, après la mort de l’ultime descendante de Robert de Clermont.

Le Berry, partie de l’ancien duché d’Aquitaine, fut contrôlé par les comtes de Blois-Champagne et se constitua ensuite sur une base plus réduite au sein du royaume, entre Orléanais et Bourbonnais ; il fut à partir du XIVème siècle un apanage des fils ou petit-fils de France.

Le comté d’Auxerre, associé au comté de Nevers dès le premier comte Landri, séparé lors d’une succession en 1262, fut vendu par Jean de Chalon au roi en 1370. Donné à Philippe le Bon par Charles VII, il fut définitivement réuni au royaume avec le duché de Bourgogne.

Deux exceptions toutefois à ce constat, de niveau plus modeste mais au voisinage immédiat : Sancerre, érigé en comté pour un cadet de Champagne au XIIème siècle, poursuivit son existence féodale en différentes mains et échut finalement aux princes de Conti, qui le conservèrent jusqu’à la Révolution ; la seigneurie de Courtenay, au prestige renforcé par le mariage de l’héritière avec un fils du roi Louis VI le Gros, passa de mains en mains jusqu’à la Révolution. Dans ces deux cas cependant, les anciens fiefs étaient largement déchus.

                                                                     

Ce ne fut pas le cas de l’ensemble formé par le comté de Nevers et la baronnie de Donzy qui conserva son intégrité et sa fierté. Pourquoi ce grand fief subsista-t-il quand la Bourgogne ducale disparut, alors que son titulaire était Jean de Bourgogne (ci-dessus) petit-fils de Philippe le Hardi ?

C’est d’abord qu’il en était indépendant féodalement, même s’il était dans sa mouvance dynastique. La féodalité était une construction juridique subtile, soigneusement régie par des us et coutumes qui conféraient droits et devoirs à ses protagonistes ; elle s’inscrivait aussi dans un contexte politique fait d’ambitions antagonistes, de luttes et de réorganisations des pouvoirs. Le destin de chaque fief résultait, et de ce droit, et de ces forces.

Nevers et Donzy, lourdement affectés par la Guerre de Cent Ans qui avait vu les Anglo-bourguignons et leurs mercenaires ravager la contrée, passèrent finalement au travers de ses conséquences politiques. Le comte Jean (1415-1491), né à Clamecy et mort à Nevers, avait certes combattu dans l’armée bourguignonne, mais il s’était brouillé avec son redoutable cousin Charles et avait rallié le roi Louis XI, qu’il servit ensuite loyalement. Ce fut un choix décisif pour l’avenir du comté, qu’une alliance transféra à une autre dynastie.

Paradoxalement, ce fief, préservé tout au long de l’ancien régime, s’est transmis bien des fois par des femmes.

Cette fidélité des comtes, devenus ducs au début du XVIème siècle, fut constante pendant les Guerres de religion – alors même que les élites de la région étaient largement séduites par la Réforme – et pendant la Fronde. Les princes des maisons successives qui tinrent Nevers : Clèves et Gonzague par héritage, puis Mazarini-Mancini par acquisition, furent dévoués au roi dans toutes ses entreprises, et proches de lui à la cour et à la guerre.

Il faut également relever que le comté, resté intact quand l’organisation royale centralisée s’imposait partout, ne représentait pas un risque pour l’unité du pays. Il n’avait pas la puissance pour une sécession, que sa position géographique au milieu du royaume, ne suggérait d’ailleurs pas. Ses titulaires se contentèrent de jouir de leur statut et de ses revenus, sans s’inscrire dans des alliances dangereuses.

Cette autonomie enfin avait un contenu déclinant : le royaume implantait en Nivernais ses structures et les renforçait : lieutenance générale pour le militaire ; baillages royaux de Saint-Pierre-le-Moutier (et d’Auxerre pour la partie donziaise) pour le judiciaire ; subdélégations de lIntendance de la généralité d’Orléans et Elections, pour l’administration et la fiscalité. Les fonctions ecclésiastiques les plus importantes : évêchés de Nevers et d’Auxerre, abbatiats des principaux monastères – réduits à de simples « bénéfices » par la commende et les destructions – étaient entièrement à la main du pouvoir royal.

Pour une partie de la population d’autre part, celle qui avait accès à une éducation scolaire plus poussée, l’horizon s’élargissait bien au-delà de la petite région natale. Etudes supérieures de droit à Bourges, de Médecine à Montpellier, ou tout simplement « montée à Paris » pour quelque motif que ce soit. Les généalogies le confirment : Paris n’est pas loin. Quand le dernier duc de Nevers Mancini vint à Donzy en 1769, n’y fut-il pas accueilli par Voille de Villarnou, son ancien condisciple au collège Louis-le-Grand ? Bref, on ne se contente plus d’un espace rural figé, on aspire à plus vaste, à plus cultivé.

Certes, les usages féodaux fonctionnèrent jusqu’à la Révolution, comme le reflète la documentation disponible. On faisait hommage au comte puis au duc pour les fiefs. La Chambre des Comptes de Nevers administrait les affaires ducales. Au double titre de baron de Donzy et de Saint-Verain, le duc devait un hommage à lévêque d’Auxerre et désignait des représentants pour « porter » le prélat à sa première entrée dans la ville. L’Inventaire des Titres de Nevers illustre par de multiples exemples cette immuabilité.

Mais au fil du temps le sens de ces usages s’étiolait et leurs modalités évoluaient. Au XVIIIème siècle ils s’étaient largement « bureaucratisés » : les « hauts et puissants seigneurs »  – d’origine bourgeoise bien souvent – étaient devenus de simples propriétaires de territoires morcelés. Il pratiquaient locations, cessions, gages, et hypothèques sur des terres dites « nobles », sans égard particulier pour leur suzerain. Ils ne lui avouaient plus leur fidélité en mettant leurs mains dans les siennes : le duc était à Paris ou ailleurs, les notaires et la paperasse avaient remplacé la confiance mutuelle.

                        

Louis Jules Mancini-Mazarini (ci-dessus),homme de cour, diplomate, auteur brillant et académicien, vit son « duché de Nivernois et Donziois » s’évanouir dans la nuit du 4 aout. Il y perdait un statut et un revenu – ce qui n’était pas rien – plus qu’un véritable pouvoir sur un territoire qu’il connaissait peu,  et sur ses habitants.

Tel fut l’ultime destin de Nevers et Donzy, une des traces les plus importantes d’un système féodal épuisé et finalement mis à bas. La Nièvre et l’Yonne pouvaient commencer leurs existences et les bourgeois s’arracher dans les ventes publiques les biens devenus « nationaux ».

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Une grande châtelaine

(Illustration : portrait d’une dame, vers 1500)

Le château de Donzy, abandonné à des capitaines par les comtes de Nevers dès le XIIIème siècle, eut cependant à la fin du XVème une habitante de marque : Françoise d’Albret (1460-1521), comtesse douairière, veuve du capétien Jean de Bourgogne dit « de Clamecy » (1415-1491), duc de Brabant, comte d’Auxerre, de Nevers et de Rethel, baron de Donzy, après son frère aîné Charles et son père Philippe, petit-fils de Philippe le Hardi.

                                                                 

Françoise était d’une branche cadette de la Maison d’Albret, puissante dynastie issue des anciens ducs de Gascogne, habile à négocier de grandes alliances. Arrière-petite-fille du Connétable Charles d’Albret, elle était la grand-tante de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, mère du roi Henri IV. Fin du Moyen-âge, aube de la Renaissance : les Albret, maîtres de la France du sud-ouest, étaient partout, proches du pouvoir.

Arnaud-Amanjeu, baron d’Orval, le père de Françoise, richement possessionné en Berry par l’héritage des Sully, portait les armes d’Albret brisées : « de gueules à la bordure engrêlée d’argent et au bâton de sable péri en barre ». Sa mère, Isabelle de La Tour, était fille du comte d’Auvergne et de Boulogne.

                               

Faute de portrait, on ne sait si elle était aussi jolie que riche. Elle avait passé une partie de sa jeunesse en Berry, où sa famille tenait notamment la principauté d’Henrichemont-Boisbelle, petit Etat souverain qu’elle eut en dot, avec d’autres terres et 20.000 livres. Le grand Sully racheta en 1605 ce franc-alleu familial au duc de Nevers.

Jean était veuf pour la seconde fois, sans héritier mâle. Le contrat de mariage, répertorié dans l’Inventaire des Titres de Nevers, fut signé le 3 mars 1479 au château de Châlus, une forteresse du Limousin passée aux Albret, aux pieds de laquelle Richard Cœur-de-Lion avait péri.

Le rôle de Marie d’Albret, sa propre tante et marraine, épouse de Charles, frère aîné de Jean, fut décisif. Marie avait inauguré la série des unions avec des comtes de Nevers et sa famille entendait qu’elle soit renouvelée puisqu’elle n’avait pas eu d’enfant. Tante et nièce, elles devinrent pour quelques années belles-sœurs…Mais Jean avait plus de 65 ans et aucune naissance ne vint couronner ce troisième mariage bien peu exaltant pour une jeune femme.

Pendant leurs dix années de vie commune, Jean et Françoise résidèrent souvent aux châteaux de Decize, Montenoison, Moulins-Engilbert et Donzy, plutôt qu’au vieux château médiéval de Nevers, qui fut d’ailleurs remplacé peu après par le magnifique Palais ducal que nous voyons aujourd’hui.

Le comte Jean pouvait supposer qu’il quitterait ce bas monde avant sa femme. Il lui avait donc attribué en douaire une rente de 2000 livres tournois pris sur les revenus de la baronnie que nous connaissons bien. Quand il mourut en 1491 elle avait 30 ans et résida dès lors à Donzy pour la deuxième partie de sa vie, dans la solitude du veuvage.

                           

On l’imagine, à peine occupée par l’administration d’un douaire somme toute modeste et de ses biens en Berry, se consacrant à la musique et aux lectures, regardant par une croisée gothique la vie s’animer dans la cité en contrebas. Sans doute jouissait-elle de la compagnie de quelques dames d’honneur issues de vieilles familles de la région ou venues de Gascogne et du Berry. Etait-elle persona grata à la Cour de Nevers, et se rendait-elle à celle du roi Louis XII ?

L’intérêt bien compris des héritiers de Nevers de la Maison de Bourgogne était qu’elle vieillit seule…Connut-elle l’amour à Donzy avant d’être trop âgée, alors qu’on l’en avait privée dans sa prime jeunesse ?

De nouvelles comtesses de Nevers se succédèrent pendant cette période : sa belle-fille Elizabeth de Bourgogne, Charlotte de Bourbon, femme d’Engilbert de Clèves, puis sa propre nièce Marie d’Albret, troisième de cette famille, dont l’alliance avec Charles de Clèves – à laquelle elle contribua – mit fin aux conflits de succession. Leur fils François fut le premier duc de Nivernais et Donziais. Ces jeunes princesses lui rendaient-elles visite à Donzy ?

Françoise y mena certainement une vie pieuse. Elle se soucia de la reconstruction de la collégiale Saint-Caradeuc qui avait brûlé en 1488, où elle se rendait en descendant le degré du château. « Jean Baillet, évêque d’Auxerre, s’occupa à réparer ce désastre…Plus tard il fut secondé dans son pieux dessein par Jeanne d’Albret comtesse douairière de Nevers…Cette princesse contribua puissamment à son rétablissement. L’acte est du 12 juin 1508. Il y est dit que ses ancêtres sont les fondateurs de cette église », écrit le chanoine Lebeuf qui confond les prénoms.

Peut-être visitait-elle les abbayes des environs, que les aïeux de son époux avaient fondées : Notre-Dame-du-Pré, prieuré clunisien aux portes de la cité ; Notre-Dame de l’Epeau, où elle pouvait se rendre en marchant le long de la Talvanne ; les sires de la Rivière, inlassables serviteurs des maisons comtales successives, y étaient inhumés ; Bellary, où elle trouvait le calme de la grande forêt et le recueillement aux côtés des pères chartreux. Ces beaux monastères, qu’elle connut animés et accueillants, allaient subir le joug de la commende puis la vengeance huguenote, et ne s’en relèveraient pas.

Au terme d’une existence qui fut sans doute morose, elle mourut à Donzy le 20 mars 1521, âgée de 60 ans, et fut inhumée dans la cathédrale Saint-Cyr de Nevers aux côtés de son époux. Son épitaphe, gravée dans la pierre, est conservée au musée lapidaire de la Porte du Croux.

Des landes de Gascogne aux forteresses du Berry et aux rives du Nohain, le destin de Françoise d’Albret fut singulier. Sa trace est presque effacée.

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Chatel-Censoir, une possession donziaise

(Illustration : la Cène, bas-relief du XVIème siècle – Eglise St-Potentien de Chatel-Censoir)

Chatel-Censoir, à l’entrée du Morvan sur le haut cours de l’Yonne, est aujourd’hui un bourg modeste, mais tout y respire une haute antiquité. Aux limites orientales du Donziais, elle relevait de l’ancien diocèse d’Autun – qui comprenait la région d’Avallon – mais appartenait aux évêques d’Auxerre, par un de ces mystères dont l’histoire féodale a le secret.

Ce castrum éduen a été une importante place gallo-romaine, comme l’ancienneté des fortifications à leurs bases et de nombreuses trouvailles archéologiques dans toute la région en attestent. Saint Pèlerin, le grand évêque d’Auxerre, en fut l’évangélisateur, mais c’est le martyr d’Entrains, Saint Potentien, deuxième évêque de Sens, qui a donné son nom à la Collégiale.

Il semble que la ville tienne son nom de Censure, évêque d’Auxerre au Vème siècle, – correspondant de Sidoine Appolinaire – dont la famille tenait une grande partie de la région, et qui en fit don à son diocèse à l’instar de son illustre prédécesseur le grand Saint Germain.

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La possession seigneuriale de Chatel-Censoir est à associer entièrement à celle de Donzy, depuis Warin de Vergy, comte de Mâcon et de Chalon au IXème siècle, ancêtre des barons de Semur et de Donzy. Cette communauté de destin donne à Chatel-Censoir un statut unique en Donziais. Sur le plan géographique, elle contribue à former la longue bande de la Loire à l’Yonne qu’a été cette baronnie. Chatel-Censoir en devint logiquement une « châtellenie » lorsqu’elle se structura.

La place a toutefois été disputée pendant plusieurs décennies aux barons par les comtes originels de Nevers, mais cette querelle s’est trouvée sans objet à la réunion de ces deux grands fiefs, par l’alliance de Mahaut de Courtenay avec Hervé de Donzy. Dès lors le destin de Chatel fut celui du Nivernais dans son ensemble.

Un château baronnial dominait la forteresse de Chatel-Censoir, et les barons, puis les comtes de Nevers y nommaient des « châtelains » pour les représenter.

                                                 Tour_d'enceinte_de_Châtel-Censoir

Deux lignées, peut-être réunies, ont marqué la cité aux XIème et XIIème siècles : les Wibert et les Ascelin, qui se sont taillés des fiefs importants dans la région (voir notice Merry), où ils s’implantèrent définitivement. Un Gymon de La Rivière, de la grande famille nivernaise de ce nom, conseiller de Geoffroy IV de Donzy, vint exercer cette fonction, ou encore Jean de Fretoy vers 1400.

La gentilhommière qui subsiste de nos jours en haut de la colline, est l’héritière des anciens châteaux forts dans ce site, dont des traces subistent (murs, tour…) mais dont on n’a pas d’image ancienne.

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Druyes, l’indestructible

(Illustration : armes de Courtenay)

À partir de 1032, le comté de Nevers et celui d’Auxerre sont réunis entre les mains de Renaud, fils de Landry. Au sein de cet ensemble qui va perdurer pendant les siècles suivants, Druyes occupe une place singulière puisqu’il appartient en bien propre au comte de Nevers et ne dépend pas de l’évêque d’Auxerre, dont le pouvoir féodal s’étend pourtant sur le reste de la contrée.

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Ce n’est qu’à la fin du XIIè siècle que le château de Druyes (voyez ce beau site qui lui est consacré) apparaît dans les textes. Il est alors l’une des résidences habituelles de Pierre II de Courtenay, comte de Nevers, d’Auxerre et de Tonnerre. En 1199, le comte doit faire face à la révolte d’Hervé, baron de Donzy. Il est battu et fait prisonnier. Pour recouvrer la liberté, il doit donner sa fille Mathilde en mariage à Hervé et lui céder le comté de Nevers. Ses comtés d’Auxerre et de Tonnerre, qu’il ne conserve qu’à titre viager, doivent revenir à sa mort à Hervé. Certains fiefs auxerrois, dont Druyes, sont alors rattachés aux possessions nivernaises du seigneur de Donzy.

En 1216, c’est à Druyes, chez son gendre, que le comte Pierre reçoit une délégation de barons venus lui proposer la couronne de l’empire latin de Constantinople. Couronné à Rome le 9 avril 1217, il part à la tête de cinq mille hommes afin de défendre son empire. Il tombe cependant dans une embuscade tendue par des Grecs dans les montagnes d’Albanie et n’atteindra jamais Constantinople : il meurt en prison au cours de l’hiver 1218-1219.

Mathilde (ou Mahaut) de Courtenay, comtesse de Nevers et baronne de Donzy, très populaire en raison de ses libéralités, vient régulièrement séjourner au château de Druyes. C’est là qu’elle remet le 15 août 1223 une charte d’affranchissement aux députés envoyés par Auxerre, qui accorde des libertés et franchises aux habitants et marque la naissance de leur commune.

À sa mort en 1257, c’est son arrière-petite-fille Mathilde de Bourbon qui lui succède comme comtesse de Nevers, Auxerre et Tonnerre. Elle meurt cinq ans plus tard, en 1262, et son mari Eudes de Bourgogne partage les trois comtés entre ses filles Yolande, Marguerite et Alix. Parti en croisade, il est tué lors du siège d’Acre en 1266. Mais sa succession s’avère difficile à trancher entre ses filles. En effet, s’opposant au choix de son père, Yolande se prévaut du droit d’ainesse et réclame les trois comtés. Mais un arrêt du parlement confirme le partage. Yolande hérite donc seulement du comté de Nevers, auquel sont rattachés certains fiefs auxerrois, dont Druyes, comme cela avait déjà été le cas en 1199.

Après la mort de Yolande, le comté de Nevers passe à ses descendants et héritiers, les comtes de Flandre. Mais dès lors, Druyes perd son statut de résidence princière. Son château n’abrite plus qu’un capitaine et une garnison chargés de la défense, et l’entretien en pâtit fortement. Mais son rôle militaire reste important et il est affecté par les ravages de la guerre de Cent Ans.

En 1369, Marguerite de Flandre, fille et héritière du comte de Flandre Louis de Male, épouse Philippe le Hardi, fils du roi de France et duc de Bourgogne. À la mort de son père en 1384, elle devient – entre autres titres – comtesse de Nevers. Après plusieurs siècles de séparation, le duché de Bourgogne et le comté de Nevers sont réunis dans l’État bourguignon. La nouvelle comtesse de Nevers fait établir un état de ses châteaux nivernais : les conclusions sont désastreuses, en particulier pour Druyes, et des travaux importants sont engagés. Entre 1378 et 1384, le château fait l’objet de réparations et ses défenses sont renforcées. La bannière du duc de Bourgogne flotte désormais sur la tour du Sault.

Aucun fait marquant ne vient ensuite faire parler de Druyes, ancienne forteresse comtale abandonnée à la garde d’un capitaine.

Le fief est vendu en 1604 à Antoine de Thiboutot, un seigneur d’origine normande, « Gouverneur pour le roi aux duché de St-Fargeau et Pays de Puisaye », pour des raisons financières. Mais en 1606, Charles de Gonzague, duc de Nevers, le rachète, en souvenir de son ancêtre Mahaut de Courtenay

Le dernier duc de Nivernais, Louis-Jules Mancini-Mazarini, vend la châtellenie de Druyes à Louis de Damas, marquis d’Anlezy, en 1738. Les Damas ne sont pas alors des nouveaux-venus sur place puisque dès 1559, Jean de Damas, était devenu « vicomte de Druyes » par son mariage avec Edmée de Crux, héritière d’une seigneurie particulière qui jouxtait les possessions ducales. Tandis que le vieux château restait la propriété des comtes, les Damas faisaient construire à proximité un château « moderne » (XVIIè). Au siècle suivant, ils reçurent le titre de « marquis d’Anlezy ». Le dernier d’entre eux, François, dépensa sans compter pour aménager son château de Druyes, le parc et les jardins, et mourut couvert de dettes.

Ses neveux et héritiers furent considérés comme émigrés en 1792, et tous les biens furent mis en vente. En 1795, n’ayant pas trouvé d’acquéreur, les châteaux sont vendus en lots pour la démolition. Le château des comtes de Nevers est ainsi décrit :

« Ancien château entouré de murs et tours, se composant d’une vieille chapelle servant ci-devant de pressoir, grandes écuries à chevaux, une prison, plusieurs remises, grande cave, grenier dessus et cour devant, ensemble et enclos remplis de roches, compris les matériaux de tous les bâtiments, les arbres complantés dans l’étendue de l’enclos, la tour où est l’horloge, y compris le-dit horloge. »

Le château « moderne » est alors entièrement démoli, tandis que la vieille forteresse échappe à ce triste sort, peut-être en raison de l’épaisseur de ses murailles, qui rebute les vandales.

Voyez dans la notice ci-dessous la succession des seigneurs et des vicomtes de Druyes :

Druyes

D enluminé

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