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10 Châtellenies

(Illustration : le château de Druyes-les-Belles-Fontaines, Yonne)

Nous évoquons régulièrement les châtellenies, des circonscriptions administratives avant la lettre, lieux annexes d’exercice du pouvoir de commandement par les comtes et ducs, barons de Donzy, dotés d’un château et d’officiers. Elle étaient à la tête d’un territoire plus ou moins vaste et des fiefs qu’il contenait, localisés dans les actes par cette appartenance, comme le confirme l’Inventaire des Titres de Nevers qui les mentionne expressément. Elles constituaient un échelon essentiel de la géographie féodale, entre le pouvoir comtal et les populations locales.

Nous reprenons ces désignations dans nos fiches et utilisons ce classement géographique dans nos pages (voir menu principal : Fiefs/Par châtellenie…etc.).

Cette organisation territoriale accompagna l’affirmation de la puissance des grands féodaux après l’effondrement de l’empire carolingien. Elle était en place dès la fin du XIème siècle et subsista au moins formellement jusqu’à la Révolution. Elle rapprochait les suzerains de leurs vassaux et facilitait la défense du territoire. Les châteaux comtaux, généralement importants, fournissaient un abri à la population avoisinante en cas de menace.

On voit couramment dans l’Inventaire des hommages rendus par tel seigneur « pour les choses qu’il tenait dans la châtellenie de Druyes » ; « à cause de Saint-Sauveur » ou « à cause de la Tour de Cosne ». Ces mentions relevées sur des actes originaux par l’équipe de l’abbé de Marolles mettent en évidence la dépendance officielle des fiefs par rapport à ces circonscriptions intermédiaires. L’hommage est donc rendu au comte dans le cadre de l’une de ses châtellenies.

L’ancien Donziais comprenait 6 châtellenies à l’origine (voir l’article sur « les limites du Donziais »), d’importance inégale : Donzy, son siège, la plus vaste ; Entrains et Cosne, anciennes cités gallo-romaines, en amont et en aval de la vallée du Nohain ; Etais, Corvol et Billy dans le bassin de l’Yonne, ces deux dernières tôt réunies.

Après sa réunion au comté de Nevers on rattacha à Donzy au XIIIème siècles les châtellenies de Druyes, Saint-Sauveur et Chatel-Censoir, territoires plus proches d’Auxerre, inclus finalement en 1790 dans le département de l’Yonne. Après de longs débats le Parlement de Paris confirma que Chateauneuf (Val-de-Bargis), à cheval sur la vallée du Mazou et celle de la Nièvre, était bien en Donziais, ce qui avait été contesté, et relevait du Bailliage royal d’Auxerre. Enfin Saint-Verain, dans la vallée de la Vrille, longtemps siège d’une baronnie de même statut que Donzy, dotée de 200 arrière-fiefs, fut repris par le comte de Nevers à la fin du XVème siècle après une succession conflictuelle, et adjoint au Donziais avec rang de châtellenie.

Les châteaux des chefs-lieux en question ne sont pas tous parvenus jusqu’à nous :

  • A Entrains, qui a été une belle cité gallo-romaine où un château aurait existé en lieu et place du palais du gouverneur, toute trace a disparu ;
  • A Etais-la-Sauvin, quelques pans de murailles et traces de fossés subsistent ;
  • A Chateauneuf (hameau de la Tour) et Billy (Château Musard), des mottes pierreuses à quelque distance des villages, rappellent ces sites castraux isolés ;
  • A Corvol, on ne voit que quelques restes d’enceinte et un manoir relativement récent ;
  • A Chatel-Censoir les murailles témoignent du passé de la petite cité qui appartenait de longue date aux barons de la maison de Semur-Chalon, mais en son sommet la construction médiévale a été remplacée par une gentilhommière privée ;
  • A Donzy, dont le premier château avait été détruit en 1170 par le roi, en guerre contre le baron récalcitrant, seule une tour de la forteresse reconstruite au XIIIème siècle subsiste sur son éperon rocheux, accostée d’ajouts privés du XIXème ; ce site pourtant fondateur n’est même pas répertorié dans les ouvrages consacrés aux châteaux du département ;
  • A Saint-Sauveur, la massive Tour Sarrazine rappelle l’importance ancienne de ce chef-lieu, mais le château – aujourd’hui Musée Colette – a été reconstruit au XVIIème siècle par des seigneurs particuliers ;
  • A Cosne, l’enceinte octogonale du vieux fort médiéval qui jouxtait l’ancienne muraille, est toujours là, au cœur de la ville, mais des transformations l’ont défigurée et le site est malheureusement négligé, presqu’oublié ;
  • A Saint-Verain, la forteresse des puissants barons, avec ses longues murailles circulaires et son donjon, construits à l’image peut-être de celles des croisés en Terre Sainte, n’est plus que ruines envahies par la végétation ; seule la belle église romane du prieuré bénédictin englobé dans l’enceinte est intacte ;
  • Seul Druyes, malgré les destructions, conserve l’allure altière du grand château barlong construit vers 1170 par le comte de Nevers Guillaume III sur la hauteur qui domine le bourg et son ancien prieuré, dont l’église romane est intacte.

Le comte entretenait dans chaque site un chatelain et un capitaine, choisis dans la petite noblesse locale, ainsi qu’une garnison. Il y séjournait régulièrement pour rencontrer ses vassaux. L’évêque d’Auxerre, son suzerain pour Donzy, conservait un « droit de gîte » dans ces châteaux. Mahaut de Courtenay, veuve puis remariée au comte Guy de Forez, demeurait couramment à Donzy, à Druyes et à Château-Musard (Billy) et mourut en son château de Coulanges. Il est probable que ces séjours s’espacèrent ensuite et que les moyens militaires furent réduits après la fin des guerres du moyen-âge, alors que les comtes puis ducs appartenaient à des familles princières investies en d’autres provinces et à la Cour. Cet abandon progressif explique, avec bien entendu les désordres des Guerres de religion puis ceux de la Révolution, la destruction presque complète de ces grands édifices médiévaux dont les pierres furent réemployées dans les bourgs.

Nous avons rencontré dans nos pérégrinations quelques chatelains ou capitaines :

  • Helion de Naillac, sgr d’Onzain, gendre du baron de St-Verain, capitaine de Donzy en 1383
  • Jean de Pernay, « chatelain et garde du chastel de Cosne » vers 1380, doté du fief de Port-Aubry ;
  • Guillaume Lamoignon, sgr de Mannay, chatelain de Chateauneuf en 1395 ;
  • Jehan Baudu, sgr de Saint-Andelain, très dévoué aux intérêts du comte opposés à ceux de l’évêque à Cosne, chatelain de cette ville ainsi que de Donzy et Châteauneuf, vers 1480 ;
  • Regnault de Mullot, sgr de Maupertuis, capitaine de Druyes, vers 1500
  • Jehan Buxière (ou de la Bussière), sgr de Montbenoit et du Jarrier, chatelain de Donzy et de St-Verain vers 1540.
  • Louis Gueuble, sgr du Boulay, son successeur, décapité avec son père Lancelot à Bourges en 1550, pour l’assassinat d’un juge de Druyes dont il convoitait la fille, joliment nommée Romaine.

Les sires de La Rivière, dont une branche fournit des Baillis de Nivernais et Donziais, fonction la plus prestigieuse sous les comtes, étaient quant à eux au-dessus de cette condition.

Des terres pouvaient être adjointes à la châtellenie, qui fournissaient un revenu pour l’entretien du château et de la garnison. On trouve quelques traces de leur affermage par le duché à des bourgeois qui les administraient au XVIIIème siècle :

  • Hubert Brotot, marchand, fut « fermier de la châtellenie et syndic de Châteauneuf » en 1740, il était propriétaire du vieux domaine de Chaume acquis des moines de Bourras, où il demeurait ;
  • Jean-François Frappier, maître de forge, d’une vieille famille de Donzy, fut le dernier « fermier général de la Châtellenie de Donzy» en 1788 ; il demeurait à l’Eminence.

Plus curieux, l’apparition dès le XIIIème siècle de vicomtes, c’est-à-dire de délégués du comte, à Entrains et à Druyes, dont le rôle demeure obscur. Ce titre et les biens qui permettaient de le soutenir constituaient des seigneuries particulières qui passèrent de familles en familles jusqu’à la Révolution. Nous en avons résumé l’histoire dans les articles : « Druyes » et « Des vicomtes à Entrains ».

Cette carte féodale est oubliée, mais nos ouvrages de référence permettent de la faire revivre. A l’exception de Cosne, devenue une petite ville industrieuse, siège d’une sous-préfecture, tous les chefs-lieux de châtellenies sont maintenant de modestes villages, rattachés à de vastes cantons dans la Nièvre (Cosne, Pouilly et Clamecy) et dans l’Yonne (Cœur de Puisaye et Vincelles). A l’exception de Druyes, dont le grand château impose toujours sa présence massive sur la colline, et de Saint-Sauveur, les témoignages de cette gloire passée sont bien cachés aujourd’hui.

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Les comtes contre les évêques à Cosne

Une controverse larvée opposa tout au long de l’ancien régime les évêques d’Auxerre, qui entendaient maintenir leur suzeraineté historique sur la baronnie de Donzy, aux comtes de Nevers, barons en titre depuis 1199, qui supportaient mal de devoir rendre hommage à un simple évêque, et voulaient unifier l’administration de leurs fiefs. Nous avons rappelé cette rivalité ancestrale, constitutive de la singularité donziaise, en évoquant la question des limites de l’ancien Donziais, ou celle du statut de Châteauneuf-Val-de-Bargis.

Elle trouva aussi un point d’application à Cosne, place stratégique en bord de Loire, au carrefour de plusieurs routes, qui ne pouvait pas ne pas intéresser les comtes. La ville et sa châtellenie étaient partie intégrante du Donziais mais, depuis un accord intervenu en 1157, les comtes de Nevers, mieux armés pour assurer sa défense, avaient la garde du château de Cosne. Il en allait de même à Donzy, Châteauneuf et Entrains. A la fin du moyen-âge les comtes de Nevers appartenant à de grandes maisons princières développèrent une conception extensive de cette mission, empiétant sur les droits des évêques, pourtant très présents ou représentés dans la ville où ils tenaient palais.

Sur le plan architectural ce passé lointain n’est pas complètement effacé : les murailles médiévales ont certes presqu’intégralement disparu, mais le château, forteresse octogonale qui formait le coin sud-ouest de l’enceinte du XIIIème siècle, est toujours là, au cœur de la ville, usé par le temps, transformé et négligé par les hommes (ci-dessous) ; le palais épiscopal, une belle demeure romane du début du XIIIème siècle, réplique en réduction de celui d’Auxerre, est intact sur une place voisine (id.). Le château épiscopal de Villechaud a disparu ; seule subsiste l’ancienne chapelle castrale dédiée à Sainte Brigitte de Suède.

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Pendant la Guerre de Cent Ans, alors que le comté de Nevers était échu aux fils de Philippe Le Hardi, Philippe de Bourgogne, puis Jean de Clamecy, le conflit prit une tournure plus aigüe. Ces princes d’une lignée capétienne qui rivalisait en puissance avec le roi lui-même, tentèrent d’échapper à leurs obligations féodales vis-à-vis des successeurs de Saint Germain et d’Hugues de Chalon, prétendant tenir Donzy du roi comme Nevers.

Dans un article très documenté sur « Les enceintes de la ville de Cosne… », l’éminent historien du Nivernais André Bossuat, décortique les tenants et aboutissants de cette querelle et ses développements judiciaires. Son cœur penche pour l’appartenance auxerroise de son pays d’origine – la vallée du Nohain  – mais cela n’altère pas la rigueur de ses analyses. Il illustre de façon cocasse les implications du droit féodal sur le terrain. A partir de faits anodins – un mur du château qui empiétait d’une toise sur la « justice » de l’évêque ; un chevreuil sauvage abattu par un homme du comte au-delà de la poterne…-, les officiers de Nevers cherchaient querelle à ceux de l’évêque et engageaient d’invraisemblables procédures. C’étaient autant de prétextes pour rouvrir le débat et réaffirmer les ambitions comtales. Mais l’intransigeance des prélats quant à leurs droits s’inscrivait dans une tradition féodale que le Parlement de Paris, familier de cette cause à répétition, reconnut à chaque fois à l’issue d’interminables procès.

Les officiers du comte étaient des seigneurs des environs que nous connaissons. Ils servaient le pouvoir en place. Le baron de Donzy auquel ils devaient hommage pour leurs fiefs était le comte de Nevers lui-même ; il exerçait le ban sur toute la contrée et appartenait à une puissante maison. On se mettait dès lors à son service, sans se préoccuper d’un pouvoir temporel épiscopal venu du fond des âges, qui s’étiolait au fil du temps.

Voyons quelques-uns de ces personnages mentionnés par Bossuat sur le théâtre des offensives comtales à Cosne, heureusement cantonnées au terrain juridique.

En 1380 il y avait là un Carroble, bailli de Donzy, un Frappier, de Nevers, et comme « Capitaine de la Tour de Cosne » – commandement militaire exercé par un noble d’épée – notre ami Jean de Pernay, qui portait le nom d’un fief de Châteauneuf près de Nannay. Il était seigneur de Port-Aubry près de Villechaud, un fief qui lui avait sans doute été concédé en récompense de ses services.

En 1413, le châtelain de Cosne – une fonction de gestion du site castral – était Renaud Lamoignon, sgr de Vielmanay, d’une famille éminemment donziaise que nous connaissons bien : elle a brillé de tous ses feux aux XVIIème et au XVIIIème siècle dans la grande politique.

En 1441, les représentants du comte Jean étaient Jean Tenon, d’une famille neversoise très dévouée, dont le fils sera seigneur de Nanvignes (Menou), et Miles de Pernay, petit-fils de Jean, capitaine de Cosne à son tour, accompagnés de son homologue de Donzy, Guyot Lamoignon, sgr de Vielmanay, Villargeau et Brétignelles, à Pougny, neveu de Renaud, venu en renfort.

En 1450, voici Jean Le Clerc, sgr de Saint-Sauveur, le fils du chancelier de France nommé par le duc de Bourgogne, lieutenant du bailli de Donzy, et Guillaume Coquille, procureur, de la famille du fameux jurisconsulte Guy Coquille, sgr de Romenay et éditeur de la Coutume de Nivernais.

En 1469 l’évêque Pierre de Longueil se trouve sur place pour défendre sa position face au procureur général du comté Guillaume La Miche, de Moulins-Engilbert, et au châtelain de Cosne Jehan Baudu. Le capitaine Miles de Pernay s’est fait porter pâle.

Ce Jehan, dont le nom est très peu cité, est « marchand » à Cosne – un terme qui indiquait plutôt un riche négociant qu’un boutiquier, avec une certaine surface financière, assortie d’une implication dans les affaires publiques -. Il est aussi châtelain de Donzy, Entrains et Châteauneuf : un homme de confiance donc, doté de moyens significatifs. Il est seigneur de Saint-Andelain au milieu du vignoble de Pouilly, une terre obtenue en récompense de ses services. Nous lui connaissons trois filles : Agnès, mariée à Simon Petot, autre riche marchand de Cosne, sgr du Jarrier à La Celle-sur-Loire, puis à Jehan de La Bussière, sgr de Montbenoit à Pougny ; Germaine, dame de St-Andelain, mariée à Jean Guy ; et Perrette, mariée à Philibert Chevalier, sgr du Pavillon à Billy. De beaux « établissements » qui confirment la position de leur père.

Pourtant tous ces aimables capitaines, châtelains et procureurs en seront pour leurs frais : les droits de l’évêque seront constamment réaffirmés par le Parlement, même après l’intégration de Donzy au duché-pairie de Nevers pour François de Clèves, et ne disparaîtront qu’en 1789. En l’an VIII Cosne deviendra une sous-préfecture du département de la Nièvre, et son passé  disputé entre Auxerre et Nevers n’intéressera plus que les historiens du pays…

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