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La « tour » de Suilly

Un internaute moins familier de ce village que l’auteur de ce site s’interroge : où est cette tour qui a donné son nom à Suilly-la-Tour ?

Ce n’est pas comme à l’accoutumée le donjon d’un vieux château, mais le clocher de l’église Saint-Symphorien, qui impose sa forme massive dans le paysage que découvre le voyageur arrivant de Donzy.

Bien que d’apparence médiévale, avec ses murs fortifiés et ses capacités défensives, cette tour est d’époque Renaissance. Elle a été juxtaposée à l’église de style gothique flamboyant, quelques dizaines d’années plus tard.

                                                             

Sans doute le curé et les seigneurs protecteurs de la paroisse, les sires d’Armes à Vergers, et les Pernay du Magny, dont les armes figurent aux clefs de voute, avaient-ils des raisons de craindre pour la sécurité de l’édifice en cette période troublée du XVIème siècle. Les huguenots avaient des bases importantes dans les environs – comme Vieux-Moulin à Vielmanay, et la forge de Chailloy toute proche, fondée par la famille de Théodore de Bèze – , d’où ils lançaient des expéditions vengeresses.

                                                                                                              

L’édifice est décrit par Soultrait dans son « Répertoire archéologique du département de la Nièvre » (Imprimerie nationale, Paris, 1875) : « Eglise paroissiale Saint-Symphorien, en partie ruinée, de trois époques distinctes : trois travées de la nef, en ruines, du XIIème siècle, une travée de la nef avec bas-côtés, transept et chevet à pans des premières années du XVIème siècle, et grosse et belle tour occidentale, commencée en 1545, offrant tous les caractères de la Renaissance…. ». « Le haut de la tour n’a jamais été achevé ; une corniche porte le toit d’ardoises, au centre de laquelle s’élève une petite flèche. Contre-forts très saillants à retraites, et gargouilles de forme élégantes aux constructions du XVIème siècle.. »

La paroisse de Suilly est ancienne, comme le rappelle Chantal Arnaud dans son inventaire très documenté « Les églises de l’ancien diocèse d’Auxerre, du milieu de XIème siècle au début du XIIIème siècle » (SSHNY, Auxerre, 2009).

Elle est en effet mentionnée sous le nom de Soliacus par les Règlements liturgiques des évêques Aunaire (561-604) et Trétice (692-707), repris par les « Gestes des évêques d’Auxerre » (publié par Michel Sot, Les Belles Lettres, Paris, 2002-2006). Elle s’inscrit dans la première armature de 37 paroisses du pagus auxerrois, christianisé depuis le tout début du IVème siècle. Des traces de voies et de bâtiments gallo-romains ont d’ailleurs été repérées dans les environs et des sarcophages mis au jour.

Au XIIème siècle, l’église fut donnée – avec beaucoup d’autres dans les diocèses d’Auxerre, Nevers, Bourges et Autun – au grand Prieuré clunisien de La Charité-sur-Loire ; donation confirmée par la bulle du Pape Luce II du 14 avril 1144, qui figure dans le Cartulaire édité par René de Lespinasse. Sans doute l’église romane dont quelques traces subsistent fut-elle édifiée à cette époque en lieu et place de l’édifice primitif.

Comme bien d’autres en France, cette église avait été dès l’origine dédiée à Saint Symphorien, le martyr d’Autun, considéré à l’époque mérovingienne comme un « saint national » à l’égal de Saint Denis. Il est fêté le 21 aout.

Une dédicace très bourguignonne. Le chanoine Grivot, historien contemporain de la ville (« Autun », chez Lescuyer à Lyon, 1967), après avoir rappelé que les vitae des saints sont « des œuvres littéraires écrites dans un but d’édification, sans aucun souci d’exactitude historique » et que la datation de ce martyr reste incertaine, donne pour couramment admises les indications suivantes : « Le jeune Symphorien appartenait donc à une famille estimée de la cité ; il était chrétien, ainsi que ses parents Fauste et Augusta, qui reçurent lors de leur passage Bénigne, de Dijon,  Andoche, de Saulieu, et Thyrse, le diacre, apôtres de la Bourgogne ; Bénigne baptisa Symphorien et Andoche fut le parrain. A Autun on vénérait particulièrement Cybèle, Apollon et Diane ; on faisait même des processions en leur honneur ; c’est ainsi qu’un jour Symphorien croisa la procession en faveur de Cybèle dont on transportait la statue ; il se permit de ricaner et de manifester hautement ses sentiments ; on l’arrêta sur le champ et on le conduisit au préfet Héraclius ; après un premier interrogatoire, Symphorien fut mis en prison ; quelques jours plus tard le jeune chrétien fut de nouveau interrogé ; et comme il restait ferme dans sa foi et qu’il continuait d’insulter les dieux païens, on le conduisit au supplice. C’est alors que sa mère l’encouragea à supporter la mort : du haut du rempart de la ville elle lui prodigua ses encouragements : « A cette heure la vie n’est pas perdue, mais elle est changée ». Et Symphorien eut la tête tranchée à quelque distance de la Porte ».

                               

Ce martyr a été représenté par Ingres (1834) sur une grande toile qui orne la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, où son conservées les reliques.

Suilly et sa tour sont dont reliés à cette page dramatique des tout débuts de la christianisation en Bourgogne.

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